Le vote de la résolution 2756 du Conseil de sécurité qui proroge le mandat de la MINURSO jusqu’au 31 octobre 2025 a donné lieu à des développements nouveaux lors du débat annuel sur le sujet. Adoptée par 12 voix et deux abstentions (Fédération de Russie, Mozambique), le texte, présenté par les États-Unis, est de rédaction classique, pour ne pas dire répétitive ; il vise à parvenir à une solution politique « réaliste, pragmatique, durable et mutuellement acceptable » à la question du Sahara – dit « occidental » dans le langage de l’ONU. On y retrouve le soutien à l’action du Secrétaire général et à son envoyé spécial et les formules usuelles avec, cependant, quelques innovations.
En premier lieu la discussion a été marquée par le refus de l’Algérie de participer au vote. Ce fait exceptionnel s’explique par l’abstention de la majorité des membres sur les deux projets d’amendement que cet État avait proposés. Il dénote aussi un certain isolement de l’Algérie et une contradiction dans sa prétention à défendre la légalité internationale, tout en faisant obstruction aux efforts du Conseil de sécurité. Son représentant, l’ambassadeur Amar Bendjama, a invoqué un prétexte de procédure : épinglant les États-Unis, il a regretté d’avoir été contraint de soumettre des amendements « parce que le porte-plume a décidé d’imposer son propre projet de résolution qui ne contient aucun des éléments d’un accord ». Il importe de préciser que le « porte-plume » ou « pen-holder » est la délégation qui écrit la première version du projet de texte ; il n’a pas la faculté de modifier le projet proprio motu, il joue le rôle d’un greffier chargé de rédiger les résolutions ou les déclarations, il peut, au mieux, faciliter l’accord des membres sur la rédaction.
Sur le fond, les deux amendements algériens visaient simplement les droits de l’homme, le délégué algérien se demandant « pourquoi la MINURSO ne serait-elle pas dotée elle aussi d’une composante droits de l’homme ? »
Le premier amendement algérien, rejeté par 9 abstentions contre 6 voix pour, proposait au Conseil de noter « avec une profonde inquiétude que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) n’a pas pu se rendre au Sahara occidental pour la neuvième année consécutive ». Le Conseil s’est borné à appeler « au renforcement de la coopération avec le HCDH, y compris par la facilitation de visites dans la région » et à demander « de nouveau que cette coopération s’intensifie. »
Le second amendement algérien, rejeté par 10 abstentions et 5 voix pour, est de nature plus sérieuse car le Conseil eut alors envisagé « d’élargir le mandat de la MINURSO afin qu’elle recense les violations du droit international humanitaire et les violations des droits humains et atteintes à ceux-ci commises au Sahara occidental ».
Les États-Unis n’ont pas voté en faveur de ces amendements mais ils ont exprimé leur préoccupation relative aux conditions humanitaires dans le camp de Tindouf dont il faut rappeler qu’il se trouve sur le territoire algérien, géré par le Polisario dans des conditions particulièrement inhumaines. En termes diplomatiques, le Royaume-Uni, l’Équateur et la Suisse ont justifié leur abstention sur les amendements par leur volonté de ne pas compromettre l’adoption de la résolution…puisque ces amendements ne recueillaient pas le consensus des autres membres.
Dans une vision passéiste et mal fondée en droit, le représentant de l’Algérie a conclu que la situation du Sahara occidental est « une question de décolonisation qui se perd dans le désert avec le peuple saharaoui qui souffre d’une situation de réfugié à long terme ». Contrainte par l’obsession « décoloniale », l’Algérie a oublié que la décolonisation dudit territoire a été achevée par la renonciation de l’Espagne à l’occupation du territoire, consacrée par l’accord de Madrid du 14 novembre 1975 approuvé par l’Assemblée générale de l’ONU. Seul peut être invoqué le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, comme principe du droit international général. Il suffit de constater qu’en l’espèce il a été respecté : le 26 février 1976, réunie en session extraordinaire, en présence du gouverneur général espagnol et de ses deux adjoints marocain et mauritanien, la Djemaa, assemblée locale élue du territoire du Sahara, a exprimé « l’opinion unanime des populations sahraouies et de toutes les tribus dont elle est l’émanation et le représentant authentique et légitime…et sa pleine satisfaction et son approbation pour la décolonisation de ce territoire et sa réintégration au Maroc et à la Mauritanie, ce qui a conduit à la normalisation de la situation tenant compte des réalités historiques et des droits des habitants ». De sorte que s’il est un État qui ne respecte pas le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, dans ce dossier comme ailleurs, c’est celui qui est représenté par le régime militaire tyrannique algérien.
Soutenant l’Algérie, la Fédération de Russie a dénoncé la « partialité » américaine et elle a réitéré sa « position constante », considérant que la résolution ne correspondait pas aux réalités du terrain et regrettant l’absence de progrès vers une solution juste. Pour autant, la Russie n’a pas voté les amendements algériens, considérant que la MINURSO est dotée des prérogatives nécessaires sans qu’il soit utile d’élargir son mandat. Ainsi ces amendements n’ont obtenu que les voix de la Slovénie, du Mozambique, de la Chine et de la Guyana, bien en deçà des neuf voix requises pour leur adoption.
En deuxième lieu, la discussion au Conseil de sécurité a permis au représentant de la France de confirmer la position prise par le chef de l’État en juillet lorsqu’il a clairement indiqué son soutien au plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 et soutenu par le Conseil de sécurité. M. Nicolas de Rivière a déclaré « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de l’autonomie sous souveraineté marocaine », « c’est la seule solution politique juste » a-t-il assuré.
Par ces mots, l’ambassadeur de France faisait écho aux propos du Président de la République devant le Parlement marocain, le 29 octobre, à l’occasion de sa visite d’État au Maroc : « L’autonomie sous souveraineté marocaine est le cadre dans lequel cette question doit être résolue et le plan d’autonomie de 2007 constitue la seule base pour parvenir à une solution politique juste, durable et négociée, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies ». Renouant avec la chaîne des temps le Président français s’est même engagé en ajoutant : « ancrée dans l’histoire, respectueuse des réalités et prometteuse pour l’avenir, cette position est celle que la France mettra en œuvre pour accompagner le Maroc dans les instances internationales ». Pour répondre aux critiques amères de l’Algérie, le chef de l’État a ajouté : « cette position n’est hostile à personne ». Déçu par l’échec de sa politique de complaisance à l’égard de l’Algérie depuis son accession au pouvoir, M. Emmanuel Macron incline désormais pour le retour à l’alliance traditionnelle avec le Royaume du Maroc. Le chef de l’État français a ajouté « je le dis ici aussi avec beaucoup de force, nos opérateurs et nos entreprises accompagneront le développement de ces territoires au travers d’investissements, d’initiatives durables et solidaires au bénéfice des populations locales ». Son engagement semble déterminé puisqu’il a insisté en rappelant que « l’autonomie sous souveraineté marocaine est le cadre dans lequel cette question doit être résolue et le plan d’autonomie de 2007 » proposé par le Maroc «constitue la seule base pour parvenir à une solution politique juste, durable et négociée, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies ».
En outre, dans ses déclarations à la presse le Président Macron a suggéré que l’affirmation récente de la marocanité du Sahara pourrait infléchir la position d’autres États européens et constituer la base d’une nouvelle relation entre l’Europe et l’Afrique.
Devant de tels engagements, on peut alors regretter que le Ministère français des affaires étrangères en publiant la nouvelle carte du Maroc qui inclut les Provinces du sud ait maintenu la désignation de celles-ci comme « Sahara occidental »… qui remonte à la pratique de l’ONU à l’époque de la présence espagnole alors que le territoire était déclaré « non autonome » au sens de la Charte. Il est vrai que la nouvelle carte ne comporte plus le trait séparant les Provinces du sud des autres parties du Royaume.
Toutefois, l’appellation est fâcheuse. Le territoire des Provinces du sud n’est pas évidemment un « territoire non autonome » au sens de la Charte. Il suffit de rappeler que les membres des Nations Unies s’en sont tenus à une définition purement formelle de « territoire non autonome » de l’article 73 qui tient à deux éléments : d’une part, ce statut est conditionnel, il dépend d’une déclaration volontaire des États intéressés qui administrent les territoires en cause ; d’autre part, l’élément crucial du statut consiste dans une obligation d’information : la puissance administrante doit communiquer au Secrétaire général de l’ONU, sous réserve des exigences de la sécurité et de considérations d’ordre constitutionnel, des renseignements de nature technique relatifs aux conditions économiques, sociales et de l’instruction dans les territoires dont ils sont responsables. Dès 1946, des communications ont été adressées, intéressant soixante-quatorze territoires placés sous l’autorité de huit puissances administrantes ; un comité ad hoc qui deviendra en 1963 le Comité de décolonisation est mis en place. Par une résolution de 1953, l’Assemblée générale énumère plusieurs séries de facteurs qu’il y a lieu de prendre en compte pour déterminer le caractère autonome ou nom d’un territoire et elle se reconnaît le pouvoir de décider « s’il y a lieu de continuer ou de cesser de communiquer les renseignements prévus » par la Charte, réaffirmant que « chaque cas d’espèce doit être examiné et tranché en tenant compte des circonstances qui lui sont propres et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Elle admet aussi qu’un territoire peut devenir autonome en s’associant à un État, à condition que cette association soit effectuée librement et sur un pied d’égalité absolue (Assemblée Générale, résolution 742 (VIII) du 27 novembre 1953 adoptée sur rapport de la 4ème commission). Dès lors, rien ne justifie juridiquement que les Provinces du sud soient désignées comme Sahara occidental expression retenue pour l’ancien territoire non autonome.
En troisième lieu, il importe de relever que par cette résolution 2756, le Conseil de sécurité consacre pour la dix-septième année l’initiative marocaine d’autonomie « comme seule et unique base » du règlement du différend, en estimant « sérieux et crédibles » les efforts du Maroc. Cette proposition d’autonomie, sous souveraineté marocaine, est soutenue par plus de cent États – dont deux membres permanents du Conseil de sécurité – et des organisations internationales. Ainsi que l’a relevé le représentant du Royaume à l’ONU, l’ambassadeur Omar Hilale dont l’autorité est reconnue par tous, « cette dynamique internationale reflète une avancée diplomatique solide en faveur du Maroc » ; il relève que la résolution demande au Conseil de sécurité prend en considération la dynamique internationale et le momentum récent au profit de l’initiative marocaine d’autonomie qui jouit du soutien de 20 membres de l’Union européenne et d’une centaine d’États et d’organisations internationales et régionales.
Le Conseil de sécurité appelle les parties à éviter « les actes qui pourraient compromettre le processus politique », cela implique le respect du cessez-le-feu dont le Conseil constate « avec une profonde inquiétude la rupture ». Encore faudrait-il que l’Algérie accepte de revenir aux « tables rondes » qui réunissent les quatre parties intéressées : la Maroc, l’Algérie, la Mauritanie et le groupe du Polisario. Ce format avait été imaginé par l’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies Horst Kohler. Il a donné lieu à des sessions en décembre 2018 et mars 2019, mais l’Algérie, instigateur et acteur principal du conflit, refuse désormais d’y participer ; bien qu’elle utilise par procuration sa créature, le Polisario, elle estime que seul ce dernier devrait négocier directement avec le Royaume. Illustrant cette obstination, le délégué algérien au Conseil de sécurité a déclaré : « ce n’est pas la nature des tables rondes qui est contestée, ce sont les plats qui sont servis dessus » … et il a menacé : « Mon pays s’appliquera à dénoncer toutes les transactions portant sur la souveraineté du Sahara occidental effectuées contre des avantages stratégiques, économiques ou commerciaux » !
Ce faisant l’Algérie s’isole en entretenant un conflit régional artificiel qui ne trompe plus personne ; cette position témoigne de l’échec des manœuvres du régime. L’abstention passive ou le refus de voter, comme la « politique de la chaise vide » dans d’autres précédents, ne peut que lasser les puissances. Celles-ci considèrent le plan d’autonomie marocain comme la seule solution crédible susceptible d’assurer la stabilité, la sécurité et le développement de la région.
Jean-Yves de Cara