Nécessaire de penser une approche ambiguë. Des pistes et des chemins de traverse. Pour suggérer. Pour réfléchir. Pour faire signe.
Se fonder sur les textes. Travailler les mots grecs. Des constellations de significations différentes et en opposition. La dialectique. Une physis qui dit l’harmonie héraclitéenne.
Également Léo Strauss dans La Renaissance du rationalisme classique :
1. « La philosophie politique classique est caractérisée par le fait qu’elle est directement liée à la vie politique. C’est seulement après que les philosophes classiques ont eu accompli leur travail que la philosophie politique fut définitivement “établie” et acquit par là même une certaine distance par rapport à la vie politique. Depuis lors, la relation des philosophes politiques à la vie politique, leur appréhension de la vie politique a été déterminée par l’existence d’une philosophie politique héritée ; depuis lors, la philosophie politique a été reliée à la vie politique au travers d’une tradition de la philosophie politique. La tradition de la philosophie politique, en tant que telle, a considéré comme acquises la nécessité et la possibilité de la philosophie politique. »
2. « C’est un rapport direct à la vie politique qui déterminait l’orientation et le champ de la philosophie politique classique. […] Le changement fondamental, à cet égard, commence avec la nouvelle philosophie politique de la période prémoderne et s’achève avec la science politique d’aujourd’hui. La différence la plus frappante entre la philosophie politique classique et la science politique contemporaine consiste dans le fait que cette dernière n’est plus du tout concernée par ce qui constituait la question directrice de la première : la question du meilleur régime. La science politique moderne, de son côté, se préoccupe d’un type de questions qui était de moindre importance pour la philosophie politique classique : les questions de méthode. Ces deux traits distinctifs doivent être rapportés à la même cause : le caractère direct ou non du lien unissant à la vie politique la philosophie politique classique et la science politique contemporaine. »
1. La cité-État, la polis, est fille du logos.
La géométrie. Le centre et le débat.
Une remarque tout d’abord : la langue grecque se prête à l’abstraction. L’article au neutre pour substantiver un adjectif au neutre ou un verbe. Les Idées de Platon, les apories. La dialectique. La philosophie, l’histoire, la géométrie… À l’origine, le thaumazein. Hypothèse que la physis est compréhensible. Des modèles, des principes. L’archè : ce à partir de quoi se sont constituées toutes choses. Comprendre, c’est unifier. Schrödinger.
Les Présocratiques et le « miracle grec ».
Le comportement imprévu donc humain des héros de l’Iliade et de l’Odyssée ne correspond en rien aux types préétablis et codifiés que l’on retrouve dans les autres épopées ou mythes indo-européens. Georges Dumézil a mis en valeur l’absence paradoxale de l’idéologie des trois ordres en Grèce, à quelques exceptions près, dans le tableau comparatif des peuples indo-européens. Les Grecs se seraient libérés très vite des catégories et des modes de pensée indo-européens, s’ouvrant, ainsi, les chemins du logos.
Anaximandre. Au sein de l’apeiron, un tourbillon, le mélange de tous les couples de contraire, chacun de ces contraires étant neutralisé, équilibré à l’intérieur de son couple par son opposé. La différenciation des choses déterminées est le résultat d’une injustice. La justice : le parfait équilibre des contraires. Cette injustice doit être payée de retour à l’indéterminé. Dans l’apeiron, la naissance des mondes. Les choses tirent leur existence de cet apeiron et y retournent.
• L’agôn (ἀγών). Chez Homère, assemblée, réunion. Ce mot indique une grande assemblée de guerriers qui assistent à des jeux ou des concours. Par extension, concours, combat, lutte, le débat dans la comédie. Pour Jacky Ducatez, « Archéologie de la notion de communauté », in Peuples méditerranéens, 1981 : « L’agôn, lieu du politique à l’état pur, quoique non thématisé comme tel, appartient à un registre de pensée pré-politique et pré-juridique. Il est le lieu où entre en compétition le capital symbolique des différents chefs de génoi, ou chefs de guerre. Cette concurrence assure la circulation du capital symbolique et du capital social entre des pairs reconnus comme tels par l’agôn : l’agôn en définit l’espace de circulation et de dépense. L’agôn porte à accumuler des richesses et des biens matériels, mais non à les capitaliser ; l’accumulation n’y a pas pour fin elle-même, ne trouve pas sa justification en elle-même, mais n’a d’autre valeur que de montrer et de démontrer le lieu du pouvoir, de faire reconnaître le pouvoir comme pouvoir. »
• L’agora (ἀγορά). L’assemblée et plus précisément l’assemblée du peuple, puis « lieu d’assemblée », la place publique où se réunit l’Assemblée des citoyens.
• La polis se mire dans le ciel des mathématiques.
La polis (πόλις) désigne aussi bien l’ensemble urbain, l’unité politique dans le sens du mot État, les citoyens en tant que corps politique. Ces trois significations correspondent au latin urbs, civitas et cives. La traduction cité-État est la moins mauvaise : c’est l’identité politique et sociale par excellence, un des symboles (avec la langue) du monde grec. Il est cependant étonnant qu’un mot tiré du latin civitas ait été choisi pour dire une réalité politique si complexe. Les Anglais disent City-state. Ce mot donc évoque un État se gouvernant lui-même ou désigne des citoyens agissant ensemble et d’une manière autonome, traitant de problèmes en commun, participant aux mêmes cultes, obéissant aux mêmes lois. La polis, parce qu’elle est le résultat du logos, a pour but le bien-vivre, ce qui, pour Aristote, est le propre d’une homme digne de ce nom. Le territoire de la polis est exigu : « Tant que la cité croît sans perdre son unité, laissez-la croître, mais pas davantage. » (Platon, République, IV, 423 b). On comprend l’étonnement d’Aelius Aristide à propos de Rome, en 143 ap. J.-C. (Éloge de Rome, 59-61) : « Et comme les autres cités ont leurs propres frontières et leur propre territoire, cette cité [Rome] a pour frontières et pour territoire le monde entier. » Urbs/Orbs.
La population est composée d’hommes libres (citoyens et non-citoyens) et de non-libres. Pour les Grecs la polis est la perfection de l’organisation politique, élément de leur supériorité sur les barbares. Les Grecs – avant Philippe et Alexandre qui ont imposé, sans faire disparaître totalement l’ancienne notion de polis, une nouvelle conception de l’État – n’ont jamais conçu une nation-État au sens contemporain du terme. On peut seulement signaler des alliances temporaires face à un ennemi commun.
La polis est moins un espace géographique (la ville, astu, et les alentours) qu’une communauté ou l’idée que l’on a de cette communauté. Les textes grecs parlent des décisions prises par les Lacédémoniens ou les Athéniens et non par Athènes ou Sparte. La nuance est essentielle. On la retrouve dans le titre par exemple d’Aristote la Constitution des Athéniens. Un autre exemple révélateur est qu’à Salamine, pour échapper au danger perse, la cité-État, c’est-à-dire l’ensemble des citoyens, s’installe sur les vaisseaux, les remparts de bois…
La polis est ainsi la communauté des citoyens, la mise en commun des paroles et des actes, l’ensemble des citoyens agissant dans un monde défini par un logos nécessaire à « l’être-en-commun ».
Le logos, parole révélant l’ordre du monde, son cosmos, est un élément essentiel du débat, « l’outil politique par excellence ». Quel que soit le type de politeia, « l’âme de la cité »1, le principe de la loi est une constante, car c’est sur les lois que repose le salut de la cité.
La fascination pour les affaires de la cité, l’intelligence à concevoir sous la forme d’un art, d’une theôria, l’essence et la tension politiques, le regard mimétique, révèlent le Grec comme l’être politique par excellence. Il réfléchit sur le modèle de la callipolis, sur la meilleure politeia possible et sur le souverain bien compris comme la fin de toute communauté. Il raconte, « trésor pour toujours », l’affrontement nécessaire des cités – réelles puissances de proie – et les inévitables ruines d’hommes et d’empires…
Pour Hannah Arendt dans la Condition de l’homme moderne, sans grandeur, il n’y a pas de politique :
« Le sens profond de l’acte et de la parole ne dépend pas de la victoire ou de la défaite, ni d’aucune issue éventuelle, d’aucune conséquence bonne ou mauvaise. L’action ne peut se juger que d’après le critère de la grandeur puisqu’il lui appartient de franchir les bornes communément admises pour atteindre l’extraordinaire où plus rien ne s’applique de ce qui est vrai dans la vie quotidienne parce que tout ce qui existe est unique et sui generis. Thucydide, ou Périclès, savait parfaitement qu’il avait rompu avec les normes de la conduite quotidienne en déclarant que la gloire d’Athènes était d’avoir laissé “partout un immortel souvenir de ses actes bons et de ses actes mauvais”. L’art de la politique enseigne aux hommes à produire ce qui est grand et radieux, comme le dit Démocrite ; tant que la polis est là pour inspirer aux hommes l’audace de l’extraordinaire, tout est en sûreté ; si elle périt, tout est perdu. »
L’idée de politeia. Ce mot est habituellement traduit par « constitution ». Il signifierait quelque chose comme la « loi fondamentale d’un État », l’ensemble des lois et des institutions d’une cité, la constitution, le corps civique (les structures de l’État). Mais la politeia n’est pas un phénomène légal. Le mot politeia est employé par les Grecs par opposition aux lois. La politeia est plus fondamentale que toute loi, elle est la source de toute loi. Dans Droit naturel et histoire, Léo Strauss écrit :
« La politeia est plutôt la distribution factuelle du pouvoir au sein d’une communauté que ce que la loi constitutionnelle stipule au sujet du pouvoir politique. La politeia peut être définie par les lois, mais cela n’est pas nécessaire. Les lois concernant la politeia peuvent tromper, intentionnellement ou non, sur le véritable caractère de la politeia. Aucune loi, et par conséquent aucune constitution, ne peut être le fait politique fondamental, parce que toutes les lois dépendent d’êtres humains. […] C’est en premier lieu l’ordonnancement actuel des êtres humains en ce qui concerne le pouvoir politique qui est signifié par politeia. »
Ce mot signifie aussi citoyenneté. Les deux significations (la société et l’État) expliquent les critiques et les hésitations d’Aristote à propos de l’unité de la cité idéale de Platon (Aristote, Politique, II, 2, 1261 a). Ce mot peut aussi signifier, en particulier chez Aristote lorsque ce dernier s’intéresse à la constitution de Syracuse (Politique, V, 4, 1304 a 27-29), une démocratie modérée par opposition à demokratia pris dans le sens de démocratie radicale. Il faut lire la Politiqued’Aristote dont l’objet d’étude est la politeia en général, ses différents aspects ainsi que la constitution idéale. L’étude de cette dernière passe par celle de la polis dans laquelle la constitution se réalise. La compréhension de cette cité passe tout naturellement par l’analyse de la notion de politès, le citoyen, l’élément constitutif de la cité-État. La souveraineté des citoyens, et non des habitants, est ce qui caractérise une politeia, qu’elle soit oligarchique ou démocratique. Ce qui implique, comme l’indique Ehrenberg dans L’État grec, l’incompatibilité d’une constitution monarchique avec la polis.
• La notion d’autonomie. Ce concept est entendu dans le sens de la faculté pour une cité de choisir sa politeia, d’avoir ses propres lois et de régler à sa convenance ses affaires intérieures, mais aussi dans le sens de diriger sa politique extérieure, de décider de la guerre ou de la paix. On conçoit l’humiliation des Athéniens quand ils se voient imposer, après Ægos-Potamos, les mêmes ennemis et les mêmes amis que leurs vainqueurs, les Spartiates. Pour dire la condition d’une cité indépendante, on trouve d’autres termes comme autopolis qui qualifie une cité non soumise à une domination étrangère, donc libre de ses choix dans sa politique extérieure, ce vers quoi tend la cité. L’autopolis est la cité par excellence. On trouve les deux termes associés chez Thucydide (V, 79, 1), et c’est le seul emploi d’autopolis chez l’historien, à propos du traité entre les Argiens et les Lacédémoniens. Les termes autotélès et autodikos indiquent respectivement l’autonomie fiscale et l’indépendance judiciaire. Il faut encore signaler la formule eleutheroi te kai autonomoi employée pour dire l’indépendance absolue. On pense à la stèle commune des alliés, le décret d’Aristotélès, charte de fondation de la seconde Confédération athénienne. Enfin, le superlatif eleuthérôtatè, chez Thucydide (VI, 89, 6 ; VII, 69, 2), qualifie la cité où la liberté démocratique et l’autonomie intérieure sont complétées par l’hégémonie ou l’archè. Voir G. C. Ténékidès, « La Notion juridique d’indépendance et la tradition hellénique » in Les Relations internationales dans la Grèce antique.
• Le danger : la stasis (στάσις). Le sens de stasis est faction et désigne également la sédition, la division, la guerre civile. Son sens étymologique est placement, position, l’acte de se lever, de se tenir fermement sur ses pieds. Le verbe histèmi dit la « station debout immobile », la position de l’hoplite tenant sa place au combat. Le stasimon est le moment où le chœur tragique s’immobilise avant de prendre la parole. Le stas est celui qui se tient debout pour prononcer le serment. Ainsi, depuis un mot qui signifie la « position stable » on glisse vers une notion qui implique l’idée de « division », de « désordre » qui évoque toute position partisane conduisant à l’affrontement. La stasis peut alors apparaître comme une « division du corps des citoyens » inhérente à la polis dont l’équilibre, nécessairement instable, est fondé sur l’opposition de forces contraires – ce que Nicole Loraux nomme le « lien de la division » : une dialectique de l’ordre et du désordre. Une harmonie, une tension essentielle et continuelle. Un cosmos, l’ordre au sens d’ordonnancement, qui se réalise par la menace du désordre, d’une stasis, d’un chaos, le vide, la béance, ou encore ce qui est mélange, informe.
Lors d’une guerre civile, la cité-État se divise, s’affronte à elle-même, se déchire et devient furieuse. La stasis n’est pas une insurrection contre un pouvoir, mais un conflit interne ou la haine entre des forces politiques opposées, un combat contre soi-même : les citoyens ne se combattent pas les uns contre les autres mais eux-mêmes.
Dans la Guerre du Péloponnèse, la maladie, nosos, la « peste » d’Athènes, et la stasis, celle de Corcyre, se manifestent de manière semblable et ont des effets identiques sur le « vivre en cité ». La stasis serait alors pour l’historien une pathologie politique, une maladie qui atteint la dynamis, la puissance de la cité-État comme la maladie atteint la dynamisdu corps et des humeurs, sa force, sa santé. Encore une fois, l’harmonie des contraires au cœur d’un concept : la dynamisest, en effet, la « capacité ou l’aptitude » à agir et à pâtir, à donner et à recevoir. La puissance qui donne à la cité sa grandeur et la santé qui donne au corps sa force sont cause de leur fin. On retrouvera chez Platon des correspondances de cet ordre entre l’âme et la cité.
Au cœur des convulsions, des métabolai, du désordre, la stasis révèle paradoxalement l’unité de la cité, son harmonie, et la nature du politique. Le pouvoir, dynamis, « s’achève sur sa propre destruction » ou bien la suscite. D’ailleurs, mettre un terme à ce désordre peut se traduire en grec par une double négation : « défaire la division » ou « délier la division », comme si l’ordre tirait son essence du désordre compris comme principe fondateur. Apparaît alors un paradigme politique fondé sur une dualité, celui d’une division sans cesse à défaire pour équilibrer les forces opposées.
On pense à Héraclite. On pense à Anaximandre.
On pense également à Solon qui, voyant que la polis était souvent divisée et que par indifférence certains parmi les citoyens s’en remettaient au hasard des événements, porta contre eux une loi particulière rapportée par Aristote, dans la Constitution d’Athènes et par Plutarque dans la Vie de Solon : « Celui qui dans une stasis ne prend pas les armes pour l’une des deux factions sera frappé d’atimie et sera exclu de la politique ». On pense encore à un passage des Lois de Platon : « Le frère qui, dans une guerre civile, tuera son frère au combat […] sera considéré comme pur, comme s’il avait tué un ennemi ; il en ira de même pour le citoyen qui, dans les mêmes conditions, tue un autre citoyen et pour l’étranger qui tue l’étranger. »
Le modèle de l’hoplite, du soldat-citoyen et du débat, porte l’idée, le principe même d’une sédition potentielle. Institutionnellement, essentiellement. La stasis révèle, dialectiquement, le réel politique…
2. La révolution clisthénienne et l’unité de la polis
En 508/7, Clisthène constate la disparation des quatre anciennes tribus ioniennes qui ordonnaient l’espace civique selon des principes lignagers et leur substitue, selon un principe de similitude territoriale, une répartition de dix tribusdont chacune regroupe trois trittyes dans lesquelles sont distribués les dèmes de l’Attique, chaque tribu comportant une trittye de l’Astu (la Ville), de la Paralia (la Côte) et de la Mésogée (l’Intérieur) de sorte que soit assuré le mélange des populations et rendu possible l’unité de la polis. Il faut noter la prééminence du principe territorial sur le principe gentilice comme le fait Aristote dans la Constitution d’Athènes (XXI) : « Clisthène rendit concitoyens de dème ceux qui habitaient dans chaque dème, cela pour les empêcher de s’interpeller par le nom de leur père et de dénoncer ainsi les nouveaux citoyens, et pour les faire au contraire appeler d’après leur dème. De là vient que les Athéniens se nomment encore d’après le dème. » On peut alors parler d’un exercice en commun de la souveraineté, d’une « émergence du politique comme espace de fusion », et souligner l’esprit géométrique qui préside aux réformes de Clisthène. La cité devient le centre de l’Attique, et l’agora, substitut de l’agôn homérique, est le lieu géométrique de l’exercice du pouvoir. La cité se mirant dans le ciel des mathématiques
Clisthène permet la démocratie (δημοκρατία). Le mot « démocratie » est grec comme la chose qu’il signifie. Le pouvoir par et pour le peuple, dèmos, c’est-à-dire le « peuple des citoyens ». Thucydide, dans le fameux discours de l’Oraison funèbre, prête à Périclès ces paroles : « Du fait que l’État, chez nous, est administré dans l’intérêt de la masse et non d’une minorité, notre régime a pris le nom de démocratie. Pour les affaires privées, l’égalité est assurée à tous par les lois ; mais, en ce qui concerne la participation à la vie publique, chacun obtient la considération en raison de son mérite, et la classe à laquelle il appartient importe moins que sa valeur personnelle ; enfin, nul n’est gêné par la pauvreté ni par l’obscurité de sa condition sociale, s’il est capable de rendre des services à la cité. » (II, 37, 1)
Le terme dèmos désigne d’une manière officielle l’ensemble des citoyens athéniens, comme c’est le cas dans l’expression que l’on trouve dans les décrets pris par l’Assemblée : « Il a plu au dèmos ». Mais, dans le langage politique, il peut désigner aussi la masse, la multitude par opposition aux riches, aux aristocrates, aux kaloi kagathoi, c’est-à-dire les beaux et les bons, ceux qui, avant Solon et Clisthène, détenaient la réalité du pouvoir (Hérodote et Aristote, la Constitution d’Athènes).
Il faut noter que la démocratie athénienne est une démocratie directe dont le fonctionnement est rendu possible par la petitesse de la cité et par l’institution de l’Assemblée des citoyens, l’Ecclésia, qui prend les décisions. Les citoyens rassemblés à l’Ecclésia délibèrent et votent, au nom de l’idée de leur appartenance à une communauté politique, une abstraction fondatrice, sur propositions soit d’un magistrat élu ou tiré au sort, soit d’un Conseil restreint de cinq cents citoyens tirés au sort parmi des volontaires, pour un an, la Boulè.
Il est utile de se rappeler que l’impérialisme est une nécessité pour la survie de la cité et de sa politeia. La présence de la flotte qui croise dans les Détroits pour surveiller l’approvisionnement en blé montre les liens essentiels pour la cité entre démocratie et thalassocratie. Pour Platon, dans le livre VIII de la République, la démocratie est le troisième degré de la décadence. La guerre participe, en effet, de la conception grecque de l’organisation de la polis dans laquelle le citoyen est avant tout un guerrier : « L’ensemble des citoyens passe sa vie à soutenir une guerre incessante contre toutes les autres cités » (Platon, Lois, 625 e).
Pour Aristote, comme pour Protagoras, l’art politique englobe l’art de la guerre qui n’est qu’une partie du premier (Politique, I, 2, 1253 a 19-36). Pour Aristote, dans la Politique, il y a démocratie « quand les hommes de naissance libre et pauvres, étant en majorité, sont maîtres des magistratures ».
Il s’agit, pour Canfora, dans La Démocratie comme violence, d’une domination totalitaire et exclusive des plus pauvres. Fondée sur la domination et la violence, la démocratie démagogique où les masses ont le pouvoir non en tant qu’individus, mais dans leur totalité, est éloignée de la politie aristotélicienne où les pauvres n’oppriment pas les riches. Elle est aussi intolérante que ses adversaires le sont (Aristote, Politique, 1292 a – 1291 b). On pense aussi au Pseudo-Xénophon et à sa Constitution des Athéniens, à Thucydide en I, 39.
3. Thucydide, l’historien du politique
Au début de La Guerre du Péloponnèse, l’historien stratège, ne se présente pas comme citoyen du dème d’Halimonte ou comme le fils d’Oloros, mais comme un Athénien : « Thucydide Athénien a composé (xunegrapse) la guerre (tonpolemon) des Péloponnésiens et des Athéniens, a exposé comment ils ont combattu les uns contre les autres (ôsepolemèsan) » (trad. A. Sokolowski). Il a pensé et écrit son histoire dans une cité « maîtresse de peuples » dont il dira l’ascension, l’apogée et la chute. Il parle aux lecteurs du futur. Le ton polemon / ôs epolemèsan fait signe. Démétrios, dans son traité Du style, signale ce commencement comme remarquable. Selon Lucien (Comment on écrit l’histoire), cette répétition est « pleine de grâce et respire l’esprit attique ». Pour Firmin-Didot, il « voulait exprimer d’une manière brève les circonstances et l’esprit de cette guerre ». Disciple du sophiste Antiphon, contemporain d’Anaxagore, d’Euripide et d’Archélaos le physicien, Thucydide « pense plus qu’il ne parle ». Poète dans son style, penseur profond, il épargne les paroles. Il « met dans chaque mot tout ce qu’il peut contenir, et serre l’expression comme la pensée : dès lors rien d’inutile ; aucun de ces mots vagues, dont le sens peut s’étendre ou se resserrer à volonté ; on risque toujours de dire trop peu en le traduisant » (Zevort, Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse). Cette redondance est donc voulue. Elle est enrichissement, une progression dans la pensée de « l’historien le plus politique qui ait jamais écrit », selon l’expression de Hobbes. Le passage du substantif au verbe, de l’idée à l’action révèle une haute langue et le dessein de l’historien : une abstraction depuis le récit détaillé des opérations organisé selon le rythme des étés et des hivers. C’est une histoire politique, une œuvre qu’il sait « acquisition pour toujours » (I, 22, 4). En vertu de la nature des choses humaines, de tels événements, nécessairement, se reproduiront un jour identiques.
Cette première phrase annonce donc à la fois une métapolitique et la réalité de la guerre dont le récit sera pensé, composé. Il faut la traduire en laissant dire aux mots grecs ce qu’ils veulent dire. Elle est signe, au-delà de « l’histoire réfléchie » et de la philosophie politique ou plus exactement de l’histoire politique telle que Thucydide l’Athénien la conçoit, de la conscience de l’historicité et de la compréhension même de ce qu’est un événement. Il s’agit d’une philosophie de l’action. Un événement est, objectivement, tout ce qui se produit hic et nunc. Il est, surtout, rupture avec la continuité temporelle, un phénomène marquant, un fait singulier, signe, pour l’observateur, d’un changement.
Diodore Kronos, Aristote, Cicéron, dans le De fato (VII, 13 ; VIII, 15 ; XII, 28-29) posent la question de l’événement. Aristote, dans le De Interpretatione, reprend le problème mégarique des futurs contingents exploré par Diodore, une aporie rapportée par Épictète et connue sous le nom d’argument dominateur. Pour Diodore, dans le futur il n’y a pas de l’indéterminé, mais du nécessaire ou du possible : « Nécessairement il y aura demain une bataille navale ou il n’y en aura pas ; mais il n’est pas nécessaire qu’il y ait demain une bataille navale, pas plus qu’il n’est nécessaire qu’il n’y en ait pas. Mais qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas demain une bataille navale, voilà qui est nécessaire » (Aristote, De Interpretatione, 9, 19, a 30). L’événement en soi n’existe pas, il est rétrospectif et, surtout, relatif, sa singularité seule étant remarquable.
Or « Thucydide l’Athénien » se met à l’œuvre immédiatement, car il prévoit l’importance de cette guerre et ce qu’elle implique pour le futur. L’intérêt est de mettre en relation les questions de Diodore portant sur les idées de nécessité et de contingence et la philosophie de l’action telle qu’elle apparaît dans le début de La Guerre du Péloponnèse pour se développer tout au long de l’œuvre. En effet, Thucydide pense le conflit ou la rencontre dialectique de la nécessité et de la prise de décision, le kairos, celui des stratèges et des cités : véritable accomplissement tragique…
L’orgueil de l’historien est justifié.
Voici le poème de la force et l’histoire violente de l’homme dans l’univers de la cité, son essence tragique.
Depuis le particulier, une vérité universelle et permanente comme ce sera le cas dans l’oraison funèbre prononcée par Périclès au livre II, dans le dialogue des Athéniens et des Méliens (V, 84-111), ou encore dans le récit de l’expédition de Sicile aux livres VI et VII. L’analyse des faits conduit Thucydide à comprendre l’idée de la guerre, le rapport dialectiquephysis/nomos, la nature de l’impérialisme dans l’absolu, et la puissance considérable des Athéniens en particulier, cause la plus vraie (alèthestatè prophasis) de la guerre du Péloponnèse. Tout cela est contenu dans l’incipit…
4. Platon
Il y a des noms qui attirent. Magnétiquement. Homère, Alexandre le Grand, Virgile, Dante, Napoléon Bonaparte…
Platon est de ceux-là.
Il est un génie. Un seigneur de la philosophie qui pense, parle et argumente en ayant conscience de l’être. Il a absorbé son siècle et c’est de lui que procède, en Occident, toute pensée vivante. Les chemins les plus difficiles, les plus abrupts. Contre les prestiges de la nuit, l’élan vers la lumière. Comme une conquête. On lui doit nos croyances, nos doutes, nos inquiétudes.
Érudit surprenant, héritier de ses devanciers, nourri de la plus haute pensée antérieure, riche de l’enseignement de ses maîtres et de ses conversations avec ses disciples ou ses contemporains, car seul l’inventeur sait emprunter, il dit l’infinie complexité, l’enchevêtrement subtil des problèmes, la fragilité et le caractère inachevé de nos constructions mentales, de nos certitudes, l’évolution perpétuelle de toutes choses, et, paradoxalement, l’immuabilité des lois de la nature et des choses du politique, le vrai, inséparable du beau.
Maître de la rhétorique et des « discours terrassants », de tous les artifices d’un logos, arme de guerre, fin connaisseur des ruses des sophistes, il est, philosophe et poète, servi par un verbe génial d’une inimitable séduction, par un art souverain où se mêlent étrangement la beauté des rêves et des mystères, la flamme de la passion, de l’enthousiasme et la logique la plus rigoureuse, la plus ferme, la plus implacable. Pour détruire ses adversaires après les avoir surpris, saisis, ravis. Séduits, ensorcelés, envoûtés. Charmés…
Avec Platon, tout culmine. Avec lui, la philosophie trouve son commencement et son achèvement. Ses écrits ont préoccupé toute école de science, tout amant de la pensée, tout poète, rendant difficile de créer autrement que par lui. C’est un grand ravage qu’il fait parmi nos originalités. Selon Schleiermacher, toute l’histoire de la philosophie se résume à des notes de bas de page sur les ouvrages de Platon et d’Aristote. Pour Simone Weil, dans la Lettre à Déodat Roché, « rien ne surpasse Platon ».
Pourtant, savoir qui est Platon est malaisé. On aimerait faire son portrait, mais, multiple, complexe, secret, en devenir et en métamorphoses, il nous échappe.
Nous ne possédons de Platon que les œuvres de vulgarisation destinées à ceux qui ne pouvaient suivre ses cours, à l’Académie, réservés aux initiés, les fameux Enseignements non écrits. Platon sait la faiblesse définitive de l’écrit. Ces dialogues qu’il rédige « en se jouant » et qui n’ont cessé de susciter l’admiration la plus haute, de provoquer à la création, à l’invention, les poètes, les philosophes, les artistes ou les penseurs du Politique, ne sont, pour lui, qu’un noble amusement, un trésor de poésies belles, une pensée ardente, certes, mais un faible écho de son action et de ses leçons véritables dont on ne peut que difficilement imaginer la force et la flamme…
Arthur Boucher dans l’introduction de L’Armée idéale paru en 1905, écrit : « De notre temps, les militaires sont trop peu philosophes et les philosophes trop peu militaires pour s’être préoccupés comme Descartes l’a fait en métaphysique, de chercher à découvrir le Cogito, ergo sum de l’art de la guerre. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. En ouvrant, par hasard, un livre écrit il y a longtemps, bien longtemps, nous avons appris qu’un philosophe ayant fait la guerre avait porté ses méditations sur les choses de la guerre. Ce philosophe, illustre entre tous, car on l’a appelé le Père de la philosophie, n’est autre que Socrate. »
Il s’agit du « discours homérique de la guerre » ou « discours socratique de la guerre ».
La parole séparée de l’action est verbiage, l’action sans la parole n’est qu’agitation. Au contraire, la coïncidence ou plutôt la rencontre dialectique de la parole avec l’action est l’idée d’un Alcibiade qui peut apparaître comme le meilleur élève de Socrate, comme c’est le cas pour Xénophon, selon la thèse d’Arthur Boucher.
Le général Arthur Boucher, en 1928, dans l’Art de vaincre, met en lumière les influences de la philosophie sur les choses de la guerre.
Depuis Homère, la guerre est l’objet de l’intérêt des philosophes.
Ainsi, Héraclite : « Il faut savoir que la lutte est partout, que la lutte est justice, et que tout est en devenir par la lutte, selon l’ordre normal des choses. »2
Ainsi, Socrate, qui, dans le domaine des choses de la guerre, considère Homère comme son maître, conseille les stratèges athéniens venus lui demander son avis, comme Alcibiade, le « chasseur pourpre ».
Le discours socratique de la guerre : le chef doit exalter, par l’émulation, le courage des guerriers, chercher la victoire en ménageant le plus possible la vie de ses hommes, et frapper là où l’ennemi a été habilement affaibli. Un véritable Traité de l’efficacité – on pense au livre de François Jullien – pour la réalisation d’un dessein, à savoir la destruction des forces ennemies et le gain des plus grands avantages. Vaincre, c’est penser la guerre en vue d’un but à atteindre. C’est évaluer la nature de l’ennemi, mesurer ses capacités, analyser le rapport essentiel entre les moyens et la fin, considérer les écarts entre la guerre-idée et la guerre réelle, considérer l’action – la stratégie est une praxis –, comprendre le potentiel de la situation, la dynamis, et saisir le moment opportun pour intervenir. La coïncidence de l’action et du temps. Pour Clausewitz, la guerre est un acte, la stratégie portant sur le sens de l’engagement, et la tactique sur sa forme…
Platon, à son retour de son premier voyage en Sicile, en 387, fonde l’Académie.
Il a trouvé « le bon moment pour agir ». La fondation de son École peut être interprétée, non comme l’abandon de la cité réelle, en se réfugiant dans la théorie – la « contemplation » – mais comme une façon autre d’occuper l’arène politique.
En effet, l’Académie est une école des sciences politiques orientée vers l’action autant que vers la pensée. Cette orientation pratique se révèle dans la part que prend l’École aux événements de Sicile que nous connaissons un peu grâce à la Lettre VII, la Vie de Dion de Plutarque et Diodore de Sicile, et le rôle joué par de nombreux disciples du maître comme Callippe, son frère Philostrate, Eudème de Chypre et encore Speusippe.
Elle est également indiquée par tout ce qui est sous-entendu dans la Lettre VI et par ce que cachent les rapports d’Érastos, de Coriscos et d’Hermias d’Atarnée avec Aristote dont on parlera plus loin. Elle apparaît aussi, selon Athénée qui se fonde sur une lettre de Speusippe, dans les relations entretenues par Platon avec les Macédoniens et les rois Archélaos et Perdiccas. Euphraios d’Orée que Platon avait envoyé à Perdiccas comme conseiller politique n’admet à la table royale personne qui ne soit initié à la géométrie ou à la philosophie.
Depuis longtemps, la philosophie est en relation avec la politique, ou plus exactement le Politique est une des fins de la philosophie. On songe aux Pythagoriciens qui ont exercé une grande influence sur de nombreuses cités de Grande-Grèce et d’Asie Mineure, à Héraclite, à Parménide ou à Protagoras. Platon est toujours prêt à l’action, à la lutte politique. Les deux autres tentatives auprès du nouveau maître de Syracuse le montreront bien…
Au livre premier de la République, Socrate est face à Thrasymaque.
L’habile sophiste, violent et avide, qui a souvent de la difficulté à se dominer, se ramasse sur lui-même à la manière d’une bête fauve, prêt à mettre en pièces son adversaire. À la manière du redoutable Protagoras, grand parmi les grands sophistes, pour qui le Politique est la conquête du pouvoir, de la puissance, pour qui la force est légitime, il affirme que la justice n’est qu’un masque sous lequel se cache l’intérêt, seul mobile des actions humaines, et que, uniformément dans toutes les cités, c’est l’intérêt du gouvernement constitué. C’est ce pouvoir qui a la force. En conséquence, pour tout homme qui sait raisonner, partout, c’est la même chose qui est juste, l’intérêt du plus fort. La justice, c’est une certitude, n’existe pas, ou, plus exactement, la justice est bien l’avantage du plus fort. Thrasymaque et les Athéniens qui tiennent l’archè par l’intelligence et la force, en sont persuadés. Ceux qui sont au pouvoir établissent les lois en fonction de leur propre avantage, de la survie de la cité.
Logiquement et nécessairement.
« À plusieurs reprises et dans le cours même de notre entretien, Thrasymaque avait tenté de jeter le grappin sur la discussion ; mais ses voisins l’avaient retenu, voulant nous entendre jusqu’à la fin. Mais, à la première pause que nous fîmes et au moment où je venais de dire ces derniers mots, il ne se contint plus, et se ramassant sur lui-même à la manière d’une bête fauve, il s’avança sur nous comme pour nous mettre en pièces. Polémarque et moi, nous nous sentîmes saisis d’une terreur panique. Mais lui, s’adressant à toute la compagnie, s’écria : À quel verbiage vous amusez-vous depuis si longtemps, Socrate ? Pourquoi faites-vous les niais, et vous inclinez-vous alternativement l’un devant l’autre ? Veux-tu sincèrement savoir ce qu’est la justice, ne te borne pas à interroger et ne mets pas ta vanité à réfuter ce qu’on peut te répondre ; reconnais qu’il est plus facile d’interroger que de répondre, et à ton tour réponds et dis comment tu définis la justice. Mais garde-toi de dire que c’est le devoir, ou l’utilité, ou l’avantage, ou le profit ou l’intérêt ; mais énonce clairement et exactement ce que tu as à dire ; car je ne suis pas homme à me payer de pareilles balivernes.
Ces paroles me frappèrent de stupeur ; je le regardai en tremblant, et je crois que, si je ne l’avais pas regardé le premier, j’aurais perdu la parole. Heureusement au moment où il commençait à s’impatienter de notre discussion, j’avais jeté le premier les yeux sur lui ; aussi trouvai-je la force de lui répondre, et je lui dis avec un léger tremblement : Ne te fâche pas contre nous, Thrasymaque ; si nous faisons fausse route dans l’examen de la question, lui et moi, sois persuadé que c’est contre notre intention. Tu sais bien que, si nous cherchions de l’or, nous ne serions pas disposés à nous incliner l’un devant l’autre et à compromettre nos chances d’en trouver ; et maintenant que nous cherchons la justice, bien plus précieux que des monceaux d’or, peux-tu nous croire assez insensés pour nous céder l’un à l’autre, au lieu de nous appliquer de tout notre sérieux à la découvrir ? Sois persuadé, cher ami, que nous y mettons tous nos soins ; mais le fait est, je le vois, que la tâche est au-dessus de nos forces. C’est donc de la pitié que vous autres, les habiles, devez avoir pour nous, bien plutôt que de la colère. »3
Ce passage est essentiel.
Il révèle deux conceptions du monde, celle du sophiste pour qui la justice n’est autre chose que « l’intérêt du plus fort », l’intérêt du pouvoir, un « bien étranger », l’avantage de « celui qui est le plus fort et qui a le pouvoir », le préjudice de « celui qui obéit et qui sert », et celle de Socrate qui dit la justice en soi.
Deux visions antinomiques de la vertu politique.
En parodiant cette réflexion des Goncourt : « Les deux plus belles conquêtes que l’homme ait faites sur lui-même c’est le saut périlleux et la philosophie », l’on pourrait dire que la sophistique est le saut périlleux de la philosophie sur elle-même. Le sophiste ne vise à rien d’autre qu’à forger l’arme absolue de la rhétorique et à proposer à qui le veut l’art de convaincre, de persuader, de séduire, art martial souverain. Pour son propre compte, il n’a que faire de la puissance, de la vertu politique ou morale, ou de la quête du vrai. Il lui faut l’érudition, qui met l’homme en possession de toutes les connaissances utiles à son projet, et la virtuosité, qui lui permet de faire triompher toute thèse, même faible et injuste, et de capter la bienveillance de l’auditeur.
Inutile de chercher une vérité insaisissable : la rhétorique, ouvrière infaillible de persuasion, est la discipline qui rend maître de la croyance des hommes. Elle n’a que faire d’un savoir précis et difficile. Grâce à elle, celui qui ne sait pas sera plus persuasif que celui qui sait. Maîtresse de la croyance, elle tient les voies du pouvoir. Elle est arme, non seulement de défense, mais de conquête, et assure, à qui en a la maîtrise, le pouvoir dans la cité, car elle crée, selon Calliclès, la vraie justice, la force, et tourne ou fait tomber les vaines barrières de la loi que le peuple des impuissants et des faibles a imaginé de monter contre les forts et les puissants. Pour Gorgias, le théoricien de la magie du verbe, vouloir se passer de la rhétorique, chercher à établir, par de savants raisonnements, on ne sait quelle vérité et quelle justice transcendantes, se penser ami de la sagesse et passer son temps à chuchoter avec trois ou quatre jeunes gens, ce n’est pas vivre une vie d’homme, mais d’esclave, et c’est se préparer, lorsqu’on sera traîné devant un tribunal, à y paraître tremblant, victime condamnée d’avance à tous les supplices. Pour Pôlos, le disciple fougueux et sans vergogne, la rhétorique, instrument de toute-puissance, est « créatrice de cette suprême jouissance, la tyrannie ».
Et le sophiste n’a pas de projet ni de parti pris autre que celui de l’éristique et de la dialectique. Ce que les autres feront de ses leçons ne le concerne pas. Il est un étranger dans la cité, et il n’a pas besoin d’autrui. Ainsi, Hippias a fabriqué lui-même tout ce qu’il porte, de sa ceinture à ses sandales et jusqu’à sa fiole de parfum. Il ne méprise ni ne juge les hommes. Il combat pour et par la parole. Sereinement. Défié, il esquive. Et c’est l’adversaire qui tombe dans le piège en affirmant des certitudes ou des passions.
Son habile et exemplaire souci est seulement rhétorique, reflet le plus pur et le plus décanté de la forme de vie agonistique si familière aux Grecs : « Progressant sur des rythmes ternaires, d’aporie en aporie, et de raisonnements binaires contradictoires en élargissements successifs, les sophistes sont comme Priam et les Anciens sur les remparts de Troie, émerveillés par la beauté d’Hélène : devant la beauté de l’être et sous la fascination du logos, portés par leur passion dialectique, ils chuchotent et stridulent sans trêve, comme les cigales à la voix couleur de lys sous les feux du Soleil méditerranéen. »4
L’affrontement avec Thrasymaque, inévitable, est absolu. La comparaison avec la bête fauve est significative. Si Socrate n’avait pas regardé Thrasymaque avant qu’il ne le regardât, il serait devenu muet. Le regard du loup, selon la tradition populaire, rend muet à moins qu’on ne le regarde avant qu’il ne le fasse.
La politique étant une affaire de puissance et non de morale, la parole est une puissance. En conséquence, l’orateur le plus habile, le plus persuasif est celui qui l’emporte. Il n’y a pas de vérité, pas de justice au-dessus des hommes, uniquement des volontés de puissance qui s’imposent par les discours, les « discours terrassants ». Les lois qui dictent ce qui est juste ne sont que des inventions des hommes, des conventions arbitraires pour s’opposer aux désirs naturels de puissance. Les dieux eux-mêmes, selon Antiphon ou Critias, ne sont que création humaine et les cultes et les rites des moyens utiles pour consolider les institutions de la cité. Si les dieux existent pour les uns, n’existent pas pour les autres, si la Terre est plate pour les uns, sphérique pour les autres, il n’y a pas de vérité dans le domaine de la connaissance, de la physis, de la cosmologie, ni dans ceux de la morale et de la politique. C’est l’homme, pour Protagoras, qui est la mesure des valeurs et des vérités. Il n’y a pas, selon Hippias, de justice « naturelle », universelle, immuable. Seule, pour le terrible Thrasymaque, la volonté de puissance est naturelle.
Un art d’écrire oublié
L’architecture générale des dialogues, notre seule voie d’accès à la pensée du philosophe, la structure interne de chacun d’eux et leur rédaction même laissent supposer, en écho avec sa théorie des formes, des niveaux de lecture différents, l’essentiel se cachant derrière l’apparence ou plus exactement le masque. On songe à l’opposition qui existe entre les doctrines pythagoriciennes orales, cryptées, qualifiées d’akousmata, et, plus tard, les doctrines écrites dites hupomnemata ou « aide-mémoire ».
Selon la thèse de l’École de Tübingen, Platon aurait réservé aux initiés, dans les fameux Enseignements non écrits, des idées non consignées dans les écrits exotériques. D’après Aristote, cet enseignement destiné aux hôtes de l’Académie traite de l’essence même du bien dont la nature nous échappe ou nous est cachée, comme dans l’allégorie de la Caverne, récit à la fois ontologique et politique. Platon, même s’il ne condamne jamais absolument l’écriture indique, dans le Phèdre, l’impuissance de l’écrit à dire le vrai, à la différence du discours vivant et animé qui s’inscrit dans l’âme. La parole a, en effet, une fonction ontologique. Celui qui connaît les choses justes, belles et bonnes ne va pas les « écrire sur de l’eau, en les semant dans une eau noire, au moyen d’un roseau, avec des discours qui, impuissants, par le discours, à se porter secours à eux-mêmes, sont, d’autre part, impuissants à enseigner comme il faut la vérité »5.
On sait que, selon le principe de la sélection et du secret, la pratique de la philosophie est réservée, dans la République, à la première caste, ou, dans les Lois, aux gardiens de la constitution, membres du Conseil nocturne. On sait, aussi, l’importance et l’enjeu du combat politique et idéologique, la rupture entre la philosophie et la cité étant consommée.
On se rappelle, enfin, la situation difficile du philosophe à Athènes, lors de la restauration démocratique survenue après une terrible stasis, et au moment des procès de 399. Il s’est retrouvé seul. On comprend la nécessité d’une penséeallégorique, d’une écriture ésotérique, d’un art cultivant le secret et permettant de dire tout en dissimulant.
Platon a utilisé une variété de mots pour rendre sa pensée hermétique. Pour le lire, il faut, selon Diogène Laërce, d’abord comprendre ce que signifie chaque chose dite, définir le but du philosophe, et enfin savoir si ce qu’il dit est juste ou non. Son écriture élégante et aristocratique est destinée aux lecteurs les plus subtils, ceux qui, véritables nageurs déliens, savent interpréter. Elle a la même structure que les fameux Silènes évoqués dans le Banquet : si on les ouvre par le milieu, ils révèlent des figurines des dieux. Le contexte, la mise en scène et les paroles des personnages eux-mêmes, leur rencontre, auraient, dans ces conditions, un sens caché, éminemment politique.
5. Aristote. L’homme est un animal politique par essence
Aristote, quant à lui, évoque les étapes de la formation de la polis en considérant l’évolution de différentes communautés : le village, extension lui-même de la famille (la première communauté étant la réunion de l’homme et de la femme), la polis enfin, qui est une communauté formée de plusieurs villages. Le nom de la cité d’Athènes (Athènai) conserve grammaticalement, par son pluriel, une trace du synœcisme. La polis est plurielle.
L’homme, on le sait, est, par excellence, un animal politique, ou, pour être précis et respecter l’idée du Stagirite, plus politique que certains autres animaux. On songe à l’abeille, la fourmi ou la grue qui sont des animaux qualifiés par Aristote de politiques : ils ont ensemble une « œuvre commune ». L’homme est naturellement lié à une polis, parce que doté du logos, de la parole, de l’esprit de raison. Il est capable d’opposer le bien au mal, le juste à l’injuste. La cité-État ne peut pas, alors, être quelque chose d’artificiel et, surtout, si on suit jusqu’au bout Aristote, pour qui la nature d’une chose c’est sa fin, il semble bien que l’être politique précède l’état de nature :
« Toute cité existe par nature, tout comme les premières communautés : elle est en effet, leur fin, or la nature d’une chose, c’est sa fin ; ce qu’est chaque chose, une fois sa croissance achevée, c’est cela que nous appelons la nature de chaque chose, par exemple d’un homme, d’un cheval, d’une famille. […] D’après ces considérations, il est évident que la cité est une réalité naturelle et que l’homme est par nature un être destiné à vivre en cité (animal politique) […]. Ainsi la raison est évidente pour laquelle l’homme est un être civique plus que tous autres, abeilles, ou animaux grégaires. Comme nous le disons, en effet, la nature ne fait rien en vain ; or seul d’entre les animaux l’homme a la parole. Sans doute les sons de la voix (phonè) expriment-ils la douleur et le plaisir ; aussi la trouve-t-on chez les animaux en général : leur nature leur permet seulement de ressentir la douleur et le plaisir et de se le manifester entre eux. Mais la parole (logos), elle, est faite pour exprimer l’utile et le nuisible et par suite aussi le juste et l’injuste. Tel est, en effet, le caractère distinctif de l’homme en face de tous les autres animaux : seul il perçoit le bien et le mal, le juste et l’injuste, et les autres valeurs ; or c’est la possession commune de ces valeurs qui fait la famille et la cité. […] Ainsi donc, il est évident que la cité existe par nature et qu’elle est antérieure à chaque individu […] »6.
Ainsi, la polis est l’ensemble des citoyens agissant dans un monde défini par un logos nécessaire à « l’être-en-commun », condition d’un espace civique homogène parce qu’en relation privilégiée avec le centre. Le logos, parole révélant l’ordre du monde, son kosmos, est un élément essentiel du débat politique, « l’outil politique par excellence ».
Par ailleurs, l’affrontement de deux exigences en apparence contradictoires, l’autonomie et l’hégémonie, est l’harmonie de la cité-État, et le signe paradoxal de sa disparition future. Pour Thucydide, il n’y a pas de solution historique au problème de l’histoire, puisque la cité, par nature et par nécessité, tend vers la guerre. La guerre entre les cités peut être ainsi comprise comme un des principes constitutifs de l’activité politique, en même temps que sa négation.
La Philia
Philia est habituellement traduit par « amitié ». Le problème est que ce mot est issu du latin, « amicitia ». Il faut, si l’on veut mieux comprendre, tenter d’approcher la philia selon des catégories grecques, et surtout lier la question de l’éthique à la politique ou au politique, à savoir la question de la meilleure constitution possible, le but à atteindre étant l’unité de la cité-État.
Dans le Gorgias, Socrate définit, face à Calliclès, comment vivre pour acquérir la justice et la tempérance, conditions du bonheur et objectif politique par excellence. Celui qui ne vivrait pas ainsi ne pourrait être aimé ni par un homme ni par un dieu. Il ne pourrait appartenir à la moindre communauté et, quand il n’y a pas de communauté, il ne saurait y avoir de philia. Socrate ajoute que, pour certains sages, le Ciel, la Terre, les dieux et les hommes forment ensemble une communauté, qu’ils sont liés par la philia, l’amour de l’ordre, le respect de la tempérance et le sens de la justice. Pour cette raison le tout du monde, l’univers, ces sages l’appellent cosmos ou ordre du monde.
Au livre VIII des Lois, pour l’Athénien, il y a plusieurs formes de philia, mais elles ont toutes leur principe dans l’érôs. La philia est une forme d’érôs, comme c’est le cas dans le Lysis.
Dans la Rhétorique, elle est une affection.
Le mot a, certes, une dimension affective, mais le champ sémantique de l’amitié – l’attachement et la bienveillance, en général, les relations familiales ou amoureuses, les liens entre le maître et son élève, en particulier – est trop étroit.
Selon Chantraine, la philia exprime proprement, non une relation sentimentale, mais l’appartenance à un groupe social. Pour Benveniste, le mot s’applique indifféremment à l’une ou l’autre de deux personnes engagées dans les liens de l’hospitalité.
Elle est aussi un principe physique qui donne sa cohérence aux choses du monde, un désir d’unité. Elle est, chez Empédocle, une « force cosmique d’attraction ». Deux principes souverains exercent alternativement leur puissance, donnent impulsion à la vie cosmique et à l’ordre de la création : Philotès ou Philiè – Amour ou Amitié – et Neikos – Discorde, Haine ou Bataille. Puissances immortelles, non engendrées, principes de la génération, dont le devenir n’a pas eu de commencement, « au contraire elles furent auparavant et seront toujours » et « jamais de ce couple ne sera vide le temps immense ». Elles règnent à tour de rôle, l’une pour réunir et unifier, l’autre pour disloquer et dissocier.
Pythagore de Samos, également, trouve dans l’amitié une signification cosmique, la philia s’apparentant à l’harmonia.
Chez Thucydide, l’historien politique, la philia entre citoyens et l’union – koinônia – entre cités sont comprises comme soumises à la vertu, révélant un même logos et une semblable praxis.
Aristote, dans les livres VIII et IX de l’Éthique à Nicomaque pense et analyse la philia. Il en distingue trois types, mais chacun est un amour réciproque et non ignoré de ceux qui l’éprouvent : l’amitié selon l’utile, selon le plaisir et selon la vertu. Il définit l’amitié entre ceux qui se ressemblent en vertu, l’amitié des hommes de bien, comme l’amitié parfaite. C’est le plaisir que l’on cherche dans la compagnie de certaines personnes en raison du charme de leur conversation. C’est aussi le désir de rendre une autre personne meilleure.
Paradoxalement, le fondement de la philia est l’amour de soi. Le vrai altruisme ne fait qu’un avec l’égoïsme de l’homme de bien. Certes, l’amitié consiste plutôt à aimer qu’à être aimé, mais amour de soi et amour d’autrui sont essentiellement complémentaires. Aristote parle du désintéressement, de la nécessité qu’il y a de chercher le bien de l’ami plutôt que le sien, mais il ajoute aussitôt que ceux que nous aimons sont aimés parce qu’ils sont d’autres nous-mêmes. L’homme vertueux a le devoir de s’aimer lui-même, car il trouvera profit en pratiquant le bien et en fera en même temps profiter les autres. La philia est d’abord philia de soi. Aimer son propre « soi », c’est-à-dire pour Aristote aimer « l’élément qui contemple », qui « pense avec sagesse ». Aimer le soi divin et aimer véritablement l’autre.
Cette acception de la philia aristotélicienne se retrouve dans la théorie épicurienne de l’amitié comme fondement de la vie heureuse, le rapport entretenu avec soi étant élargi au rapport à l’autre pensé comme un autre soi. L’écart entre la considération de son propre intérêt et celui de l’ami n’est plus. La relation se construit alors sur une pure confiance, donnant naissance à une communauté sans faille, établie sur le don et le contre-don, fondée sur la franchise et la liberté de parole. En effet, il ne s’agit pas de l’accomplissement d’un soi absolu qui s’opposerait à l’autre, mais de l’accomplissement d’un être pensant et agissant, vivant dans une cité, et qui tend vers la perfection de sa nature. La relation d’amitié, l’essence de la relation civique, étend à l’autre ce qui est recherché pour soi, à partir de soi.
Ainsi, sous ce nom, Aristote réunit une extrême diversité de manières d’être et de formes d’actions et d’interactions ou encore de relations humaines privées et collectives dont il s’agit de trouver le point commun. Dépassant la pluralité des amitiés, il veut trouver l’essence de la philia, l’idée d’une amitié parfaite, « la chose la plus nécessaire à l’existence », au sein de la polis. Il dit les arguments pour mener les citoyens à cultiver la philia, car elle est utile et juste. La concorde naît de l’amitié, la forme la plus vraie de la justice. Aristote comprend la philia comme un fait humain, par essence. À la fois rationnel et de l’ordre de la passion. Elle se fonde sur la Vertu et elle est une vertu particulière. Elle est échange de bons procédés et bienveillance mutuelle, la réciprocité – antiphilia – et l’égalité, toujours à instaurer ou à restaurer, étant les caractéristiques essentielles de l’amitié excellente.
La philia apparaît alors comme une exigence, une nécessité dans l’ordre du politique, du « bien-vivre » qui est le souverain bien. Ce « bien vivre » dans l’espace d’une cité où les citoyens sont égaux « gouvernant et étant gouvernés » alternativement est, pour le philosophe, conforme à l’idée grecque de liberté, à l’harmonie existant entre le citoyen et la communauté poliade. L’unité en pensée, paroles et action. Elle alors est comprise comme une vertu politique qui réalise l’humanité des hommes grecs – les Barbares, comme les femmes et les enfants, n’ayant pas l’excellence des capacités à la délibération et à la décision. Elle est ce qui unit les citoyens dans le dème, à l’Ecclésia ou dans la phalange. Elle donne à la cité sa cohésion, une cohésion toujours menacée, toujours en devenir, la polis étant à la fois le principe et la fin. La cité, antérieure à l’homme, fait partie des êtres qu’elle enveloppe. Première et fondatrice, elle est but et fin.
Ainsi, « parce que ce que nous aimons, au fond, c’est être, et être en acte, et parce que, animal politique qu’il est, l’homme ne peut atteindre son energeia sans les autres, la philia s’avère le lieu où s’échangent nos possibilités d’être. Ultimement, la philia commence par l’être et se termine par lui ».
Formés à l’école de la philia d’Aristote, Alexandre et ses Amis seront frères d’armes, en intelligence implicite dans les batailles rangées, la mêlée ou la chasse, dans la pensée de l’empire. La philia des Hétaires, les Compagnons, s’éprouve et vient à être dans l’action, tout au long de l’expédition. Elle donne la victoire…
En conclusion
Alexandre vainqueur car élève d’Aristote. Gaugamèles et le sommeil d’Alexandre.
Olivier Battistini
Olivier Battistini est né à Sartène, en Corse. Il est Maître de conférences émérite en histoire grecque à l’Université de Corse, directeur du LABIANA, chercheur associé à l’ISTA, Université de Franche-Comté et membre du comité scientifique de Conflits. Auteur de nombreux ouvrages sur la Grèce ancienne, ses domaines de recherches sont la guerre et la philosophie politique, Thucydide, Platon et Alexandre le Grand.
1. Isocrate, Aréopagitique, 14.
2. Héraclite, [DK 80], trad. Y. Battistini.
3. Platon, République, I, 336 b – 337 a.
4. Y. Battistini, in Les Présocratiques, Fernand Nathan, 1990.
5. Platon, Phèdre, 276 c.
6. Aristote, Politique, I, 2, 1252 b 27 – 1253 a 29, trad. J. Aubonnet.