En réponse à la demande de l’Assemblée générale des Nations Unies formulée en 2022, le 19 juillet la Cour internationale de justice a émis un avis consultatif attendu, relatif aux Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est.
Ce faisant, la Cour devait répondre à deux questions de l’Assemblée générale :
1- Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la Ville Sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
2- Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées … ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ?
Le texte final de l’avis a été vivement discuté au sein de la Cour. Il a donné lieu à des prises de position nuancées voire contrastées des juges. En particulier, Madame Sebutinde, vice-présidente, a émis une opinion dissidente et s’est prononcée contre l’ensemble des conclusions de la Cour, le Président, M. Nawaf Salam, joint une déclaration et douze juges font de même ou joignent des opinions commune ou individuelle et parfois les deux. Il est remarquable que les juges américain, australien et allemand, dont les gouvernements témoignent généralement d’un attachement fervent à Israël, ont voté pour l’ensemble du dispositif de l’avis.
Pour l’essentiel il importe de retenir que la Cour conclut que 1) la présence de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite ; 2) l’État d’Israël est dans l’obligation de mettre fin à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé dans les plus brefs délais ; 3) l’État d’Israël est dans l’obligation de cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation, et d’évacuer tous les colons du Territoire palestinien occupé ; l’État d’Israël a l’obligation de réparer le préjudice causé à toutes les personnes physiques ou morales concernées dans le Territoire palestinien occupé ; 4) tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par la présence continue de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé ; 5) les organisations internationales, y compris l’Organisation des Nations Unies, sont dans l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé ; et 6) l’Organisation des Nations Unies, et en particulier l’Assemblée générale, qui a sollicité l’avis, et le Conseil de sécurité, doit examiner quelles modalités précises et mesures supplémentaires sont requises pour mettre fin dans les plus brefs délais à la présence illicite de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé.
Sans entrer dans une discussion de ces conclusions qui appelle un examen approfondi de l’avis, il importe de signaler plusieurs points majeurs qu’elle soulève.
Tout d’abord, il convenait de vérifier si la Cour était compétente pour répondre de façon éclairée aux questions de l’Assemblée générale. Des doutes peuvent être formulés au moins en raison du fait que l’affaire oppose deux États et que l’intervention du juge international dans un tel cas suppose le consentement des parties ; une procédure consultative ne saurait dissimuler ou se substituer au règlement judiciaire d’un différend entre deux parties.
Ensuite, la Cour affirme que l’occupation israélienne est illicite en tant que telle ; cela semble méconnaître les principes et règles du droit de l’occupation et il eut convenu peut-être d’analyser de façon circonstanciée les « pratiques et politiques » d’Israël dans le Territoire palestinien pour soutenir plus fortement la conclusion de la Cour. Il semble que cette dernière ait ignoré la complexité historique et juridique du conflit israélo-palestinien et négligé les résolutions successives du Conseil de sécurité depuis 1967 selon lesquelles les conditions essentielles du règlement du conflit n’ont pas changé, à savoir le droit à l’existence et à la sécurité d’Israël et le droit du peuple palestinien à un territoire, à disposer de lui-même et à un État propre, comme cela apparaît dans l’avis consultatif émis en 2004 sur l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé. Certes, l’annexion par une puissance occupante d’un territoire occupé est illicite et l’occupation ne saurait créer un titre à l’extension de la souveraineté sur un territoire, mais il existe en droit international des règles relatives au régime de l’occupation et des obligations pour la puissance occupante, distinctes de celles qui régissent l’emploi de la force et ses conséquences. Or la Cour ne semble pas distinguer les conséquences de ces deux corps de règles. Cela ne signifie pas pour autant que les États ont la faculté et encore moins l’obligation de reconnaître la situation qui découle de la présence d’Israël sur le territoire occupé ou même qu’ils ne doivent pas s’abstenir de porter aide et assistance à Israël dans le maintien de cette situation. Par ailleurs, il serait pertinent de s’interroger sur la question de savoir si la puissance occupante pourrait se retirer « dans les plus brefs délais » des territoires occupés sans que sa sécurité soit exposée à des menaces sérieuses. Enfin, la Cour ne semble pas avoir tenu compte à suffisance des accords d’Oslo ni de la situation particulière de Gaza, ce qui dénote un défaut de vision d’ensemble de l’affaire. Aussi, il est permis de s’interroger sur l’opportunité de confier à la Cour qui est certes l’organe judiciaire principal des Nations Unies, le soin de se prononcer sinon de régler une situation hautement politique qui relève principalement de la compétence du Conseil de sécurité. Une certaine confusion des compétences n’améliore pas la légitimité ni l’efficacité de l’organisation mondiale…
JYC