On se souvient que le Nicaragua a demandé à intervenir à la procédure dans l’affaire Afrique du Sud c/Israël, pendante devant la Cour internationale de justice. Par un rebondissement propre à la diplomatie judiciaire des États, ce pays a introduit, le 1er mars, une requête contre l’Allemagne à raison de manquements allégués de celle-ci aux obligations découlant de la convention sur le génocide, des « principes intransgressibles du droit international humanitaire et d’autres normes de droit international relativement au territoire palestinien occupé, en particulier la bande de Gaza ». Une telle demande peut surprendre. Le Nicaragua constate qu’il existe depuis octobre 2023, « un risque reconnu de génocide du peuple palestinien et, avant tout, de la population de la bande de Gaza ». Il soutient que, en fournissant un appui politique, financier et militaire à Israël et en cessant de financer l’UNRWA (office de secours et de travaux de l’ONU pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), « l’Allemagne facilite la commission de ce génocide et, en tout état de cause, a manqué à son obligation de faire tout son possible pour en prévenir la commission ». Cette requête est accompagnée d’une demande en indication de mesures conservatoires ; il faut rappeler que devant la Cour, elle a priorité sur toutes autres affaires.
L’Allemagne ne saurait être soupçonnée directement de génocide en Palestine. Le cas échéant, elle pourrait seulement être poursuivie pour complicité. En outre, elle ne serait probablement pas la seule et d’autres États pourraient être mis en cause, en particulier les États-Unis. Il est possible que le Nicaragua vise ces derniers à travers sa requête contre l’Allemagne. L’histoire a rendu prudent le demandeur. En effet, en 1986 le Nicaragua avait obtenu satisfaction contre les États-Unis devant la CIJ dans l’affaire des « activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci » : la Cour avait jugé que les États-Unis violaient le droit international en soutenant les « Contras » dans leur rébellion contre le gouvernement sandiniste et en minant les ports de cet État. La Cour avait décidé que les États-Unis étaient tenus de mettre immédiatement fin à leurs agissements et de renoncer à tout acte constituant une violation de leurs obligations juridiques et qu’ils devaient réparer tout préjudice causé au Nicaragua, la fixation du montant devant faire l’objet d’une autre procédure si les parties ne pouvaient se mettre d’accord. En 1988, le Nicaragua avait déposé un mémoire relatif aux formes et au montant de la réparation mais les États-Unis maintinrent leur refus de participer à la procédure. En septembre 1992, sous le gouvernement de Violeta Barrios de Chamorro, le Nicaragua fit connaître qu’il ne souhaitait pas poursuivre la procédure et les Etats-Unis se félicitèrent de ce désistement…En 1990, après des années de sanctions économiques, de blocus et d’insurrection conduite par les Contras, Chamorro, à la tête d’une coalition de partis soutenue par les États-Unis avait remporté les élections contre le pouvoir sandiniste. Son gouvernement pardonna aux États-Unis les dégâts causés par leur participation à la longue lutte contre la révolution sandiniste « en reconnaissance pour toutes les faveurs reçues ».
Le Président Daniel Ortega, ancien leader des sandinistes a été élu en 2006 et réélu depuis cette date malgré la constitution qui prévoyait que le mandat présidentiel est renouvelable une fois de manière non consécutive et limité à deux mandats au maximum. Il soutient les revendications de la Palestine, de l’Ossétie du Sud, de l’Abkhazie, du Polisario au Sahara marocain et les régimes cubain, vénézuélien, iranien. Il est proche de la Russie et de la Biélorussie. Il est vraisemblable qu’en visant l’Allemagne plutôt que les États-Unis, les autorités du Nicaragua ont souhaité éviter le risque d’un nouveau changement de régime…Par-delà, c’est l’Occident tout entier qui est visé. Comme au billard, la carambole est aussi pratiquée en matière de justice internationale et dans les relations diplomatiques.
Jean-Yves de Cara
Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique