La période qui s’ouvre avec cette nouvelle année nous permet de faire un point général sur l’état du monde. Bien évidemment, fidèles à notre principe de réalité, il s’agira de se livrer à un examen non marqué par une vision ethnocentrique, à savoir occidentalisée.
Le renforcement des BRICS, avec l’entrée de cinq nouveaux membres (L’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis) au 1er janvier 2024, illustre un certain recentrage des pôles de puissance et une réorganisation qui vient contrecarrer l’imperium américain. On ne peut par ailleurs que souligner le changement de positions, sur de nombreux thèmes, de l’Arabie saoudite, acteur important du Moyen Orient, avec la mise en place d’alliances nouvelles et le rétablissement de relations diplomatiques et économiques avec l’Iran chiite, ce qui semblait inenvisageable depuis leur rupture en 2016, à la suite de l’attaque des missions saoudiennes par des manifestants de la République islamique. On ne mesurera qu’au fil des mois à venir l’impact de cette nouvelle donne, facilitée par la Chine, sur les équilibres généraux. On note aussi la bonne résistance de l’Iran face aux attaques américaines et d’Israël.
La Méditerranée, autrefois berceau de civilisations, risque de devenir une simple zone de passage, frontière entre les mondes du Sud en devenir et ceux du Nord qui n’existeront que dans le giron de l’Empire Américain auxquels ils semblent de plus en plus et majoritairement vouloir se rattacher.
La tension au Moyen Orient est toujours intense, focalisée sur la bande de Gaza, mais avec des ondes de choc qui s’étendent et s’étendront sur tout le monde arabo-musulman. On a par trop tendance à minimiser en Occident les incidences de l’encerclement israélien de ce territoire palestinien et des bombardements quotidien que son armée effectue, causant de nombreuses morts civiles. Le prix à payer par l’Occident sera élevé et la vision manichéenne que l’on présente à satiété dans la plupart des médias européens et américains ne pourra faire oublier la réalité sur le terrain et sa perception non édulcorée par le monde musulman et son opinion publique qui, majoritairement, est acquise à la cause palestinienne. D’ailleurs, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, l’action de l’État Hébreu ne fait pas l’unanimité au sein même du peuple israélien qui considère que les outrances actuelles sont préjudiciables à une paix durable. On ne peut aussi que reprocher à ceux qui ont pour mission d’informer d’être mus davantage par le souci de véhiculer une propagande que d’instruire les citoyens de la réalité sur le terrain leur permettant de se faire leur propre opinion et d’opérer leurs choix.
La saisine de la Cour internationale de justice par l’Afrique du Sud sur le fondement de l’allégation de méconnaissance par Israël, qui y est évidemment partie, de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, avec une première audience de 11 janvier 2024, est un fait saillant dans la mesure où cela place le débat, et donc les questions en cause, dans un cadre juridictionnel établi, loin des oukases d’une « pensée dominante ».
D’ores et déjà – et en raison du fait que, dans sa requête, l’Afrique du Sud a sollicité de la Cour l’énonciation des mesures conservatoires qu’il convenait de prendre eu égard à la situation – par ordonnance du 26 janvier 20241, la Cour internationale de justice a indiqué qu’il incombait à l’État d’Israël, à l’égard des Palestiniens de Gaza, notamment, de prévenir la commission de meurtres, d’atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale, et à ce que son armée ne commette aucun de ses actes.
Il est indiqué également que l’État d’Israël « doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande Gaza ».
Quel que soit le résultat sur le fond, qui interviendra dans plusieurs mois, ce sont des éléments de droit international qui ont été mis en avant et continueront de l’être, dans le cadre d’un débat contradictoire, loin de ce qui nous est généralement donné à lire et à entendre sur le grand barnum médiatique.
Tout cela permet de nous sortir, en effet, du cadre de médiocrité qui nous est servi notamment par les « débats » télévisés dont on nous inflige la vision indigeste. Il ne s’agit ici que d’opérations de propagandes, voulant se donner l’apparence de l’objectivité et qui, sous prétexte d’équilibre entres les points de vue, ne tendent qu’à présenter des visions superficielles des choses par des acteurs qui se contentent, car ils ne peuvent faire autrement dans le cadre de cet exercice très contraint, d’énoncer des banalités sous la supervision d’un maître des horloges qui est censé incarner la « vérité ».
Quel pourrait être le rôle de la France dans une région où son influence était traditionnelle ? Il s’agit de dégager une solution juste qui consiste moins en une « coalition » anti-terroriste qu’en une initiative de paix et de sécurité : elle passe inévitablement par un processus politique pour la création d’un État palestinien dont l’idée, traditionnellement soutenue par la France, était à l’origine même de la création d’Israël. Sa réalisation avait été amorcée par Rabin et Arafat mais sabotée par les fanatiques qui sont à la source des horreurs du 7 octobre et de leurs conséquences désastreuses.
L’état de déliquescence de nos sociétés occidentales se mesure et s’illustre souvent par le règne des médiocres et du spectacle. Dans l’ordre international, il tient aussi à la faiblesse des perspectives historiques et doctrinales de la plupart des politiques étrangères des gouvernements occidentaux. La niaiserie de la théorie de la Fin de l’histoire et l’interprétation défectueuse du choc des civilisations ne fournissent pas aux chancelleries un cadre cohérent pour agir. En outre, l’absence de maîtrise de l’histoire diplomatique affaiblit la position des négociateurs – politiciens ou diplomates – dans les rapports avec des puissances soucieuses de préserver leurs racines ou des États désireux de maîtriser leur destin. Or, depuis la fin de la guerre froide, jamais l’incertitude géopolitique n’a été aussi grande. Nombre de conflits mettent en cause les grandes puissances ou réveillent les aspirations impériales de la Russie, de la Chine ou de la Perse.
Au sud Yémen (partie ouest du pays), les tensions sont fortes avec un risque important d’internationalisation du conflit à partir de cette zone sensible pour le trafic maritime de la mer Rouge. En mer de Chine, le gouvernement de Pékin étend son espace au mépris des solutions arbitrales et s’irrite de l’affirmation de son autonomie par Taïwan. La mer Noire et la mer Caspienne se trouvent au cœur d’un arc de crises allant des Balkans à l’Asie centrale et où s’enchevêtrent les rivalités renouvelées des empires russe, perse et ottoman et l’influence ancienne des puissances occidentales ainsi que les aspirations de nouveaux acteurs. Cela illustre l’importance constante des espaces maritimes dans la géopolitique et le couplage des conflits territoriaux et de l’accès à la mer.
La guerre en Ukraine est l’un des foyers de tensions, dont on ne parle plus guère tant la messe est dite, à savoir une victoire de la Russie, même si d’aucuns persistent à soutenir le contraire et à envoyer des fonds et des armes pour une cause dorénavant perdue.
La Russie d’ailleurs, dont on a prédit l’effondrement inexorable n’a semble-t-il pas subi de trop grands dommages par l’effet des sanctions américano-européennes.
Elle a orienté ses exportations vers les BRICS et vers les pays qui, soit la soutenaient, soit entendaient rester neutres, ce qui en constitue une large majorité dans le concert des nations. Ainsi le résultat a-t-il été indubitablement celui de produire une augmentation du poids des dépenses d’énergie pour de nombreux pays européens, dont l’Allemagne privée d’un gaz russe dont les prix étaient fort compétitifs. Les dégâts subis par l’économie allemande de ce fait vont être mesurés exactement dans les mois et années à venir, mais il faut craindre un déclassement du pays par les atteintes structurelles que son tissu productif a subies. On y constate d’ailleurs de fortes tensions sociales dues à des protestations des agriculteurs, lesquels reçoivent d’ailleurs un certain appui des autres catégories socioprofessionnelles, ce qui illustre un état général perturbé du corps social en son entier. Le pays, que d’aucuns considéraient comme un modèle de solidité et de stabilité va peut-être devoir affronter des défis nouveaux.
En Europe, aussi, le fonctionnement institutionnel fait l’objet de nombreuses critiques. Tous les observateurs n’ont pu que constater une hégémonie de la Commission et de sa présidente qui, de l’avis unanime, outrepasse les pouvoirs qu’elle détient en vertu des traités, mais dont les États ne semblent pas se plaindre. Les mois qui viennent sur l’agenda européen seront ceux de tentatives d’instaurer plus de supranationalité dans un mouvement de mise en place d’une Europe fédérale. Pourtant, on note des résistances qui commencent à poindre de la part de certains pays, plus à l’Est, qui entendent garder une certaine maîtrise de leurs choix et qui considèrent que l’idée de souveraineté ne relève pas du passé. S’il est confirmé et s’il est l’objet d’un débat dans la campagne électorale, le projet de rédaction d’un texte de nature constitutionnelle pour l’UE pèsera assurément dans le choix et le vote des citoyens des États membres lors des élections européennes prochaines.
Ainsi globalement, le centre du monde se déplace vers l’Est et le Sud, vers le Moyen Orient, vers l’Asie au détriment des anciennes puissances européennes qui se bercent toujours de l’illusion de leur rang passé. Le rôle de États-Unis d’Amérique, comme gardien des grands équilibres – pour son plus grand profit — est contesté par de nombreux États. Sur ce plan, comme sur d’autres, les réveils risquent d’être douloureux pour certains. Seuls les États qui ont une approche réaliste et pragmatique, marquée par la défense de leurs intérêts vitaux, pourront prendre les bonnes décisions et demeurer les acteurs de leur destin. Pour les autres, le choix de la demi-mesure ou celui de se placer sous l’empire d’un « protecteur », ne pourra donner lieu qu’au désastre de la perte de leur souveraineté.
1 En application de l’article 41 du Statut de la Cour, les mesures décidée par ordonnance, comme en l’espèce, ont « un caractère obligatoire et créent des obligations juridiques internationales pour toutes les parties en cause ».