La crise ouverte par l’attaque du Hamas sur Israël oblige à un regard sur l’histoire tumultueuse de la région, singulièrement en ce qu’elle touche à la présence du peuple juif sur le territoire de la Palestine.
– De la Bible à la Rome antique
Cette histoire renvoie d’abord à la Bible, aux origines de l’histoire judéo-chrétienne lorsqu’au IXe siècle avant Jésus Christ le territoire était divisé entre les deux royaumes d’Israël et de Juda, issus du royaume d’Israël dont l’unité avait été assurée par les rois David et Salomon. Ensuite, des luttes dynastiques sanglantes, des conspirations et des révoltes marquèrent la région favorisant la mainmise de puissants voisins, l’Assyrie, la Mésopotamie, l’Égypte. Ceux-ci, successivement envahissent le territoire, imposent des tributs, mettent à sac Jérusalem, détruisent le temple, réduisent la population à l’esclavage et à la déportation ou l’exil. Puis ce furent l’empire perse, Alexandre le grand, les monarchies hellénistiques, la conquête par les souverains Lagides d’Égypte auxquels succédèrent les Séleucides de Syrie qui maintinrent une certaine autonomie interne des provinces, la Judée étant gouvernée par le Sanhedrin qui réunissait les prêtres et les représentants des grandes familles. Rares furent les périodes de stabilité. En un cycle d’éternel retour, les temps de « l’abomination de la désolation » (destruction du Temple), de persécution, de domination alternent avec ceux de la révolte, de l’hellénisation, de la restauration de l’État juif indépendant, des rois hasmonéens, de l’expansion de la Judée et du règne des ethnarques qui combinent les fonctions de roi et de grand prêtre.
Avec la diaspora, la Palestine entretient un lien religieux ; sur le territoire, les tensions sont constantes entre les juifs et les autres communautés mais aussi au sein même des élites locales, telle la division entre les Sadducéens et les Pharisiens. Ces conflits favorisent les interventions extérieures. En 63 avant Jésus Christ, Pompée entre à Jérusalem. Dès lors, un lien de vassalité va s’établir avec Rome qui tolère une certaine autonomie des principautés locales aux frontières disputées. Le plus célèbre prince, Hérode, tient son titre royal de Rome. Issu d’une famille arabe récemment judaïsée, tyrannique et cruel, il est mal accepté même s’il assure une certaine prospérité à la Palestine. Ses successeurs se soumettent à Rome qui exerce à partir du premier siècle de notre ère une administration directe. L’agitation est endémique, entretenue par les tensions sociales entre grecs, juifs et arabes alors que s’élève dans le peuple une attente messianique que couronne la naissance du christianisme. La première communauté chrétienne dite des « Nazoréens » se développe tandis que les Zélotes incitent la Judée à la rébellion contre l’occupation romaine. La prise de Jérusalem par Titus en 70, le sac de la ville et l’incendie du Temple marquent, selon Flavius Josèphe, le début de « la guerre des juifs qui se termine en suicide collectif à Massada. La défaite sera suivie de révoltes sévèrement réprimées en Judée désormais désignée comme province de Palestine (pays des philistins).
Enfin, après l’anéantissement des derniers rebelles, la Palestine sort de l’histoire pendant dix-huit siècles. Province de diverses puissances successives qui contrôlent la région, elle conserve sa population juive au cours du premier millénaire. L’empire romain autorise le maintien des institutions administratives et judiciaires, les croyances et pratiques du judaïsme demeurent légales. Devenue religion d’État au IVe siècle, le christianisme se renforce. Ainsi l’accès à Jérusalem est fermé aux juifs et, à partir du code de Théodose (438), ces derniers sont frappés par des interdictions professionnelles et civiles. Aucune structure ne les représente. L’invasion perse au VIIe siècle accentue cette mise à l’écart puis, la conquête arabe illustrée par la bataille de Yarmouk et le siège de Jérusalem (638) entraîne l’arabisation et l’islamisation de la société.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 1099 : La prise de Jérusalem et ses suites
À la suite de la prise de Jérusalem par les croisés en 1099, une série de royaumes chrétiens dirigés par des seigneurs européens se constitue. Les communautés se diversifient mais la majorité musulmane qui jouit de la liberté de culte et paie l’impôt supplante les communautés juives évanescentes. Néanmoins les États latins d’Orient sont fragiles. La réaction musulmane est vive. Saladin en est le symbole. Il réalise l’union de l’Égypte et de la Syrie, étend son autorité sur l’Irak et encercle les royaumes chrétiens. Il s’empare de la Palestine en 1187 mais ses héritiers seront évincés par les Mamelouks en 1259. L’épisode des croisades et des royaumes chrétiens – assez bref – s’est gravé dans la mémoire collective. Les dirigeants des États arabes ou des mouvements nationalistes, révolutionnaires ou terroristes, en sont influencés dans leurs relations avec l’Occident ou l’État d’Israël. En revanche, les Mamelouks jusqu’au XVIe siècle, puis l’empire ottoman qui les élimine en quelques mois (1516-1517), ont imposé durablement leur domination dans la région. Celle-là ne sera troublée que par l’expédition d’Égypte conduite par Bonaparte qui s’empare brièvement de la Palestine en 1799, puis par la conquête de la Palestine et de la Syrie par le Pacha d’Égypte Méhémet Ali en 1832. L’aspiration au retour vers Israël est souvent liée au messianisme dans les communautés juives de la diaspora. Parfois cela est le fait de faux messies ; plus rarement ce sont des communautés limitées qui, dans des circonstances historiques déterminées, comme celles d’Espagne au XVIe siècle, imaginent une restauration d’Israël sur la terre promise. Quant aux juifs traditionalistes, tout absorbés dans l’étude des textes, ils sont, historiquement comme aujourd’hui, plutôt hostiles à une immigration massive. Réservés sur le sionisme moderne, ils sont attachés à une vision spirituelle voire eschatologique du retour à Sion.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 1896-1917 : De « L’État des juifs » au foyer national juif.
On tient généralement pour apocryphe la proclamation de la restauration d’un État juif par Napoléon Bonaparte en 1799 après la prise de Saint-Jean d’Acre. En revanche, dans la foulée du mouvement des nationalités au XIXe siècle en Europe mais aussi au Proche Orient, la Palestine a été gagnée par une double revendication. Plusieurs communautés juives en Europe imaginent la possible reconstitution de la nation juive sur la terre d’origine du peuple d’Israël. Au sein de l’Empire ottoman, le nationalisme arabe ne s’attache pas particulièrement à la Palestine. Celle-ci n’est qu’un des éléments de la nation arabe dont le réveil survient plus tôt chez les arabes chrétiens qui demandent la sécession des peuples arabes de la Turquie d’Asie, mais dont les revendications territoriales restent assez floues.
À la fin du XIXe siècle, le mot sionisme est défini par Nathan Birnbaum. Il désigne l’aspiration nationale à la régénération du peuple juif dont l’idéal est le retour à Sion, au terme de deux mille ans d’exil et de tribulations. Mouvement laïc, il s’enracine dans l’attachement d’essence religieuse à la Terre Sainte et à Jérusalem. L’aliya, la montée vers la Terre sainte, est une obligation pour tout fidèle du judaïsme. Diverses associations à travers l’Europe militent pour l’installation des Juifs en Palestine. L’établissement de colons suscite le renouveau de la langue originelle, l’hébreu, alors que les Juifs parlaient l’arabe en Palestine et usaient du Yiddich en Europe. Sur place, des mesures sont prises par l’administration ottomane pour restreindre la vente de terres aux colons juifs mais les consuls européens protestent pour obtenir l’abandon de cette pratique. Parmi les théoriciens du sionisme, un nom se dégage et s’illustre en 1896 par son livre « L’État des Juifs » en 1896 : Théodore Herzl qui appelle à la création d’un tel État dès que les puissances seront disposées à accorder la souveraineté au peuple juif sur un territoire neutre : la Palestine ou l’Argentine. La « Society of Jews » dont il envisage la création, est chargée de négocier avec les souverains de ces territoires. À cette fin, il lance l’idée d’un congrès des délégués de Russie et d’Europe germanique qui se tient à Bâle en 1897. Ce congrès adopte un programme qui est le texte fondateur du mouvement et qui incline pour la création d’un foyer pour le peuple juif en Palestine, garanti par le droit public international. Néanmoins, le sionisme est considéré comme une idée laïque dépourvue de référence religieuse, tandis qu’en 1902 est fondé un parti sioniste religieux, Mizrahi, qui lie l’existence du peuple d’Israël au respect de la Torah, de la tradition et au retour à la terre des patriarches. L’organisation sioniste mondiale issue du Congrès de Bâle accepte la diversité des partis politiques, se constitue en institution ; elle crée un Fonds national juif alimenté par l’épargne populaire et chargé d’acquérir des terres en Palestine qui seront concédées aux colons. Herzl mène une intense activité diplomatique auprès des États européens mais celle-ci ne débouche pas sur des résultats concrets. Le gouvernement anglais, le plus favorable, se borne à proposer l’Ouganda comme terre d’accueil des Juifs. La proposition est discutée et le principe est adopté par le congrès de l’organisation sioniste au moment où se produisent des pogroms en Russie, mais elle se heurte à des résistances et elle est abandonnée après la mort de Théodore Herzl en 1904.
Dans ces circonstances, un lent mouvement d’immigration et de colonisation se poursuit en Palestine avec ou sans l’accord des autorités turques, les immigrants sionistes tendant à considérer que le pays est « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». La « yishouv », communauté juive de Palestine, s’accroît, consistant en plusieurs dizaines de milliers avant la grande guerre de 1914. Cela ne va pas sans résistance. La population arabe, soumise à la domination ottomane puis turque, est majoritairement musulmane mais elle comporte de fortes minorités chrétiennes. Les sultans ont su ménager les uns et les autres mais l’autonomie de l’Égypte qui confine à l’indépendance jusqu’à l’occupation anglaise à partir de 1882 a stimulé le réveil du nationalisme en Syrie qui comprend alors le Liban, et en Palestine.
Le souvenir de la grandeur au Moyen Âge revient à la mémoire ; cela se traduit d’abord par une renaissance culturelle, notamment par la connaissance de la langue arabe. « Le réveil de la nation arabe », publié en 1905 par Negib Azoury, apparaît comme le pendant de « l’État juif » de Herzl. L’arrivée des jeunes turcs au pouvoir en 1908, à la faveur de la révolution, exacerbe le nationalisme arabe et l’aspiration des groupements politiques arabes au changement. L’empire britannique s’intéresse à ces manifestations nationalistes arabes contre les Ottomans ; il considère que la Palestine doit s’intégrer à son système de défense mais il n’est pas opposé au sionisme. Or au même moment un mouvement antisioniste arabe se fait jour. Il n’est pas purement intellectuel, il se traduit par des protestations contre l’immigration juive et l’achat de terres par des colons juifs en Palestine. Cela s’accompagne d’une certaine agitation et même d’agressions alors que l’hostilité n’est pas unanime parmi les nationalistes arabes comme cela apparaît lors du congrès arabe de Paris en 1913.
Avec la Première Guerre mondiale, les affaires de Palestine prennent une dimension internationale. Le Royaume-Uni cherche à s’assurer de la domination dans la région et de la mainmise sur la Palestine, proche de l’Égypte et du canal de Suez. À cette fin, il prend des engagements auprès du mouvement sioniste représenté à Londres par Haïm Weizmann. Un premier memorandum préparé par Herbert Samuel, membre du cabinet, reflète les préoccupations et les projets de l’Angleterre. Il est suivi de nombreuses tractations qui sont hâtées par le risque de voir la Russie en proie à la Révolution se retirer du conflit et par l’impatience devant le retard de l’entrée en guerre des États-Unis. Or dans ces deux États, l’influence des communautés juives se fait sentir au sein du nouveau pouvoir russe et dans les milieux influents américains. Dans ces circonstances, est publiée la déclaration Balfour le 2 novembre 1917 sous la forme d’une lettre du ministre des Affaires étrangères éponyme à Lord Rothschild, personnalité éminente et financier du mouvement sioniste : il indique que le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national du peuple juif (national home for the jewish people), en des termes suffisamment équivoques pour ne pas évoquer un « État juif » ni même suggérer l’ensemble du territoire palestinien. Il est vrai que deux réserves sont formulées qui tiennent compte d’une part de l’opposition au sionisme de certaines communautés juives et d’autre part des droits des communautés non-juives de Palestine qui représentent alors plus de 90% de la population. Quelques jours plus tard, l’armée britannique d’Égypte commandée par Allenby entre à Gaza, s’empare du sud de la Palestine puis de Jérusalem en un mois. En 1918, le démantèlement de l’empire ottoman laisse place à la domination anglaise même si la France demeure présente dans la région. Les accords Sykes-Picot sont un compromis entre les intérêts des deux puissances victorieuses tandis que l’Allemagne vaincue et la Russie devenue soviétique sont écartées.
Lors de la conférence de la paix qui s’ouvre à Paris en 1919, il faudra tenir compte aussi bien de la promesse faite aux Juifs que des engagements pris envers les Arabes représentés par le prince Fayçal, fils du chérif Hussein et chef de la révolte arabe contre les Turcs conduite par lui et le célèbre colonel Lawrence. Les contradictions de la politique anglaise apparaissent mais les revendications sionistes et arabes ne semblent point incompatibles puisqu’un accord Fayçal-Weizmann est conclu en janvier 1919, fondé sur la parenté de race des deux communautés, leur désir d’entente et une bonne volonté réciproque. Des considérations diplomatiques régionales expliquent cet accord, notamment la perspective d’un État arabe dont le prince hachémite, établi à Damas, espère faire reconnaître la souveraineté sur la Syrie, encouragé par l’abandon de l’idée d’État juif.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 1922 : Le mandat britannique
La conférence de la paix n’ayant pas abouti à la conclusion d’un traité avec la Turquie et le Sénat américain ayant rejeté le traité de paix avec l’Allemagne et le pacte de la Société des Nations, la France et le Royaume-Uni ont réglé librement le dossier du Proche Orient au sein du Conseil suprême allié et des conférences de San Remo (1920) puis de Lausanne (1923). Dès 1920, la Grande-Bretagne établit une administration civile sur la Palestine puis elle reçoit un mandat de la SDN en juillet 1922. Ce mandat impose à la puissance mandataire des obligations générales envers les populations et plus particulièrement envers la communauté juive minoritaire. Celle-ci est désappointée car, comme le mandat le lui permet, la Grande-Bretagne décide de ne pas autoriser l’immigration juive en Transjordanie dont l’administration est confiée à un prince Hachémite, Abdallah, établi à Amman avec une coalition de Bédouins et de nationalistes arabes. Enfin, il importe de noter que la responsabilité des Lieux Saints en Palestine revient à la puissance mandataire, ce qui dénote leur statut particulier.
Durant la période du mandat, la communauté juive s’est considérablement étendue et elle s’est dotée d’institutions quasi-étatiques avec une assemblée de députés et un conseil national qui gouverne avec l’appui de l’Agence juive et l’Histadrout, organisation syndicale chargée de fonctions économiques et sociales. Surtout, la communauté se dote d’une milice armée, la Haganah, dont le recrutement est fondé sur la conscription. L’immigration reprend sous le contrôle de l’autorité mandataire et selon les critères et les quotas fixés par celle-là, le « foyer national juif » passant de 65 000 en 1919 à 425 000 en 1939. Cette poussée migratoire, due principalement aux événements européens, est irrégulière et l’adaptation des migrants n’est pas facile. Formellement, la colonisation sioniste proclame sa volonté de vivre dans l’amitié avec les Arabes et de constituer une patrie commune. Certains groupes minoritaires du mouvement sioniste vont jusqu’à imaginer un État binational. Ces forts propos ou ces intentions ne sont pas suivis d’effet ; certains esprits excluent toute idée de réconciliation avec « le peuple indigène » ou d’accord volontaire avec les Arabes dans la mesure où aucune compensation pour le foyer national juif ne peut être offerte. Déjà l’opposition au sionisme se manifeste, prenant parfois des formes violentes tandis que, sous la poussée nationaliste, l’idée d’établir un État arabe en Palestine se fait jour au sein du Congrès national palestinien. Les Palestiniens arabes sont moins bien organisés, aussi les autorités britanniques créent un Conseil suprême musulman, élu par les Arabes, chargé de gérer les fondations religieuses et d’exercer la tutelle des tribunaux coraniques. Par ailleurs, le grand mufti de Jérusalem, Hadj-Amine el Husseini, désigné en 1921 avec l’accord de l’autorité mandataire, devient une personnalité puissante qui ne cache pas son hostilité au sionisme et à l’immigration juive. Sa personnalité suscite une certaine opposition qui s’illustre par la création d’un parti national arabe plus modéré, prêt à coopérer avec les Britanniques et les dirigeants sionistes. Néanmoins, les relations entre les deux communautés se tendent en 1929 à la faveur de discussions sur le mur des lamentations et du statut des Lieux Saints musulmans. Il en résulte des troubles violents dans plusieurs villes. Une commission d’enquête et un livre blanc recommandent une stricte limitation de l’immigration et l’interdiction de l’achat de terres par les Juifs. Cela restera sans effet et le gouvernement Mac Donald tend à céder aux milieux sionistes et l’immigration va s’amplifier après l’instauration du régime national socialiste en Allemagne.
La méfiance de la population arabe envers les Anglais s’accroît. Elle s’exprime en 1931 par la Déclaration à la Nation arabe, mais elle ne réduit pas les dissensions entre les forces politiques arabes. Aux élites traditionnelles s’opposent la jeunesse, les intellectuels et les nationalistes radicaux ; les partis politiques arabes se diversifient. Les tensions ouvrent une période de troubles, de grèves, de désobéissance civile, de sabotages et d’affrontement insurrectionnel, désignée comme la Grande révolte arabe de 1936-1939 qui incite la puissance mandataire à infléchir sa politique.
Une commission royale pour la Palestine, dirigée par Lord Peel, constate en 1937 que la déclaration Balfour comporte des objectifs contradictoires, qu’il sera impossible de faire coexister Arabes et Juifs dans une même entité et que l’établissement d’un gouvernement unique et autonome demeurera impraticable. La commission recommande le partage de la Palestine en un État juif en Galilée et sur une partie de la plaine côtière, représentant un quart de la superficie du pays, et un État arabe recouvrant le reste de la superficie, sauf un corridor allant de Jérusalem à la mer sous mandat britannique. Les sionistes sont divisés tandis que les Arabes rejettent ce plan de partage dont le projet relance l’agitation, sévèrement réprimée. Aussitôt, une conférence panarabe pour la défense de la Palestine se tient en Syrie, elle se révèle aussi hostile à la présence anglaise qu’au sionisme. Le gouvernement britannique se replie sur une solution inverse de celle qui résultait de la déclaration Balfour : un État palestinien dominé par les Arabes qui s’engageraient à garantir les droits de la minorité juive. Bien accueilli par les États arabes voisins, le projet est rejeté par le grand mufti et par les Juifs. Le lien traditionnel entre le Royaume-Uni et le sionisme est rompu. Les sionistes se tournent vers les États-Unis dont la communauté juive est importante et influente et qui seront appelés à jouer un rôle déterminant dans les affaires du monde après leur entrée en guerre. En mai 1942, la conférence et le programme de Biltmore, sous l’égide des sionistes américains témoigne de cette évolution. Elle défend la création d’un Commonwealth juif.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 1944-1945 : La fin de la 2e guerre mondiale
De cette expérience de l’entre-deux-guerres, Hanna Arendt tirait des conclusions désabusées : « trente années de voisinage intime n’ont que peu modifié le sentiment initial de complète étrangeté entre les Arabes et les Juifs ». L’idée d’un foyer national juif tel que rêvé par Herzl lui apparaît comme une « fuite hors du monde » : « le pays dont il rêvait n’existait pas ». Pour la philosophe, « les Juifs ont méconnu l’éveil des peuples colonisés, …les Arabes ont négligé de prendre en compte le rapide accroissement des forces juives, …la force des Juifs et leur volonté de se battre » pour leurs idéaux. Les deux peuples « se sont pratiquement ignorés l’un l’autre, incapables de considérer leur proche voisin comme un être humain à part entière ».
Entre la conférence de Biltmore et 1944, les positions des dirigeants sionistes se sont radicalisées, elles ont pris une coloration de plus en plus nationaliste, négligeant la seule réalité constante : la présence séculaire d’Arabes en Palestine. La deuxième guerre mondiale et la persécution des nazis incitent les chefs sionistes à réclamer la création d’un État juif indépendant, tout en suspendant les actions contre la puissance mandataire. Tout occupés par la pensée que le peuple qui n’avait pas de terre devait s’établir sur une terre vierge de tout peuple, ils oubliaient la présence d’une population locale. Obsédés légitiment par la préservation de leurs racines, de leur culture et de leurs traditions, ils considéraient que seule la terre d’Israël devait leur revenir, sans considération pour toute autre portion du globe.
De son côté, la population arabe de Palestine s’abstient de toute agitation pendant la durée de la guerre, malgré les appels au soulèvement du grand mufti. Une certaine collaboration militaire des deux communautés avec les Britanniques se développe, davantage du côté des Juifs que de celui des Arabes. Parallèlement, devant la fermeté de l’administration anglaise, la Haganah, milice juive désormais clandestine, favorise l’immigration parallèle et se prépare à un affrontement avec les Britanniques ; l’Irgoun, organisation secrète créée en 1931 et dirigée à partir de décembre 1943 par Menahem Begin, favorise l’immigration, mène quelques opérations anti-britanniques tandis que le groupe Stern, dissident, terroriste, révisionniste, agit dans l’ombre et en 1944 assassine Lord Moyne, ministre britannique pour le Proche-Orient au Caire.
Dans ce climat tendu et dominé par les opérations militaires alliées contre l’Axe, l’avenir de la Palestine est incertain. Winston Churchill évoque un partage entre deux États mais se montre plus préoccupé par le sort du monde arabe après la guerre. La conférence d’Alexandrie en octobre 1944 adopte le principe de la création d’une Ligue des États arabes, tandis que divers projets sur le Proche Orient sont discutés sans faire l’objet de décision. Un point est certain : le protocole d’Alexandrie considère qu’il ne peut être porté atteinte aux droits des Arabes de Palestine et que le gouvernement britannique s’est engagé à mettre un terme à l’immigration juive et à garantir la conservation des terres arabes.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 1947 – 1948 : Le partage de la Palestine et la création de l’État d’Israël.
Dès la fin de la guerre, la majorité des Juifs et particulièrement les dirigeants sionistes estiment qu’ils ne sauraient être libérés de la peur tant que leur statut comme personnes et comme nation n’aura pas été rendu égal à celui des autres peuples. À cette fin, seul un État juif en Palestine pourrait offrir un asile à la communauté dispersée. Cela est affirmé par les responsables du mouvement dès 1945, avant même que soit universellement connue l’ampleur du désastre lors du procès de Nuremberg (1945-1946) et l’enquête de la Commission des crimes de guerre des Nations Unies (1943-1949). Le génocide, l’émotion, la détresse créent un climat favorable aux demandes sionistes auxquelles les grandes puissances sont sensibles, considérant aussi leurs intérêts stratégiques au Proche Orient où le déclin de l’influence des anciens États mandataires permettraient aux États-Unis ou à la Russie soviétique de faire leur entrée.
Le Royaume-Uni, soucieux de maintenir de bonnes relations avec les États arabes est réticent à accorder des certificats d’immigration aux sionistes, tandis que les États-Unis sont partagés entre les considérations électorales liées au poids de la communauté juive américaine et leurs intérêts pétroliers et stratégiques dans la région. Les hésitations et les divergences des anglo-saxons indisposent et la situation en Palestine se dégrade. Les groupes nationalistes juifs s’engagent dans une lutte armée contre les Britanniques qui sont contraints à renforcer leur engagement militaire sur le terrain au moment où le Royaume-Uni sort de la guerre exsangue. La violence est illustrée par l’attentat contre l’hôtel King David à Jérusalem en 1946 mais rapidement la Haganah préfère la négociation ou les pressions politiques à la lutte armée que l’Irgoun et le groupe Stern poursuivent par des actions terroristes. Toutefois, les tractations des Britanniques avec les Arabes sont difficiles. Un Haut-Comité arabe a été constitué en 1946 ; le grand Mufti qui s’était rapproché de l’Allemagne pendant la guerre a été arrêté mais, revenu d’Europe subrepticement, il en prend la tête. Parallèlement, le Roi Abdallah de Transjordanie, soucieux d’étendre son territoire, est hostile à un État palestinien arabe et préférerait être partie prenante au partage de la Palestine. Mais la solution heurte les autres États arabes qui s’y opposent par l’intermédiaire de la Ligue arabe. La conférence convoquée à Londres par le gouvernement anglais échoue autant par les solutions imaginées que du fait de l’absence des représentants juifs et arabes de Palestine.
Dans ces circonstances, l’ONU est saisie du dossier confié à une commission de l’organisation dont les deux propositions soit de partage, soit d’État fédéral binational, sont successivement écartées par l’Agence juive et par le Haut-Comité arabe. Lorsque le débat vient à l’Assemblée générale, les États-Unis et l’Union soviétique se déclarent favorables au plan de partage, l’une et l’autre puissance songeant à l’influence qu’elles pourraient tirer de cette solution aussi bien auprès des autorités juives que des États arabes, pour des raisons différentes mais avec le même objectif : prendre pied dans la région.
Aussi le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU adopte la résolution 181 portant plan de partage de la Palestine par 33 voix contre 13 (les États du Proche Orient) et 10 abstentions, soit à une voix de majorité sur les 2/3 nécessaires. La troisième partie du texte prévoyait que la ville de Jérusalem serait placée sous un régime international spécial et administrée par les Nations Unies. Le texte mettait fin au mandat britannique, ce qui impliquait le retrait des troupes du Royaume-Uni. En pratique, le partage revenait à attribuer aux Juifs qui représentaient un tiers de la population 55% du territoire, singulièrement les terres les plus fertiles, cette disproportion étant liée à l’attente d’une importante immigration juive, le territoire juif étant peuplé à 40% d’Arabes. Mais aucun échange de population n’est prévu. En outre le tracé des frontières est complexe, chaque État étant composé de trois parcelles mal reliées entre elles.
A l’effervescence joyeuse de Yishouv qui se déploie dans les rues répond la colère des Arabes de Palestine qui voient dans cette résolution une injustice suprême. Ils n’oublient pas que le mandat britannique devait s’exercer « sans préjudice à la population locale », or leur droit à l’autodétermination a été bafoué.
Des troubles éclatent aussitôt. La Ligue arabe décide de lever des volontaires pour combattre auprès des Palestiniens et soutenir les forces qui sont sous le contrôle du mufti, face aux milices juives qui organisent la résistance. Avant même le départ des Anglais, prévu pour le 15 mai 1948, la guerre civile sévit. Les troupes arabes ont mis les forces juives en difficulté ; elles cherchent à briser l’unité territoriale en coupant les voies de communications et en faisant le siège de Jérusalem. La riposte juive est organisée face à la division des forces arabes, elle tend à expulser les populations arabes, détruire leurs villages et reprendre le contrôle des villes de Galilée et de la plaine côtière. Cela s’accompagne d’atrocités de part et d’autre et de l’exode massif des populations arabes effrayées par la terreur que répandent l’Irgoun et le groupe Stern, en particulier après le massacre de Deir Yassin. Devant son ampleur, les États-Unis demandent en vain la convocation de l’Assemblée générale de l’ONU pour faire retirer le plan de partage et placer le territoire sous une tutelle provisoire de l’ONU. Mais le 14 mai, Ben Gourion, président du Comité national, proclame l’indépendance du nouvel État juif, Israël, « en vertu du droit naturel et historique du peuple juif et de la résolution des Nations Unies », sans en préciser les limites territoriales. Le nouvel État est aussitôt reconnu par les États-Unis et l’URSS mais les troupes des États arabes pénètrent en Palestine, comme cela avait été envisagé par la Ligue arabe en décembre 1947. Il s’agissait de venir au secours des Arabes palestiniens mais aussi de satisfaire les ambitions de certains États. Cette première guerre israélo-arabe commencée le jour de l’indépendance se prolonge jusqu’au 6 janvier 1949, marquée par les offensives des Syriens en Galilée, des Irakiens en Samarie, de la Légion arabe de Transjordanie à Jérusalem puis sur la route de Tel Aviv, enfin des Égyptiens dans le Néguev puis vers Tel Aviv et Jérusalem. Les combats difficiles sont coupés de trêves ordonnées par le Conseil de sécurité ; les troupes sont épuisées, certaines armées sont désorganisées mais les engagements pris lors de la suspension des combats ne sont guère respectés, chaque partie profitant de ces périodes pour se renforcer en armement ou en combattants. Israël en particulier profite de l’arrivée de nouveaux immigrants. Néanmoins, les armistices permettent d’ouvrir des tractations. Le médiateur de l’ONU, le comte Bernadotte, présente des plans, formule des propositions intégrant la Transjordanie dans les solutions à deux États. Il se heurte aux objections et au rejet de ses solutions par les parties, les combats et les trêves se succèdent, le médiateur est assassiné par les extrémistes du groupe Stern.
Les hostilités reprennent. Israël repousse les Égyptiens abandonnés par leurs alliés, s’empare du Néguev jusqu’au golfe d’Akaba. Une série d’armistices sont signés à Rhodes en 1949. Accords militaires, ils ne mettent pas fin à l’état de belligérance et ne règlent aucun différend territorial. Israël sort renforcé, reconnu par de nombreux États, admis à l’ONU, il bénéficie d’un accroissement de son territoire (45%) au détriment de l’État arabe prévu par le plan de partage de l’ONU, désormais caduc.
Malgré une nouvelle résolution de l’Assemblée générale de l’ONU (303(IV du 8 décembre 1949) réaffirmant son intention d’instaurer un régime international permanent pour Jérusalem, la ville est partagée en deux : Jérusalem Est, vieille ville rattachée avec les Lieux Saints à la Transjordanie, Jérusalem Ouest rattachée à l’État d’Israël puis proclamée unilatéralement capitale le 31 janvier 1950. Néanmoins, dans la ville Est, l’accès au mur des Lamentations est interdit aux Juifs pour près de vingt ans. Enfin, un problème diplomatique et humain s’impose et envenime l’avenir : le sort des nombreux réfugiés palestiniens chassés de leur terre ancestrale et animés pour toujours par l’espérance du retour.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 1956 : La crise de Suez et la création de l’OLP.
Dès la guerre de 1948, il apparaît que le nouvel État sera confronté durablement à un double conflit. Celui au cours duquel il affronte à plusieurs reprises les États arabes de la région. Celui, lancinant mais non moins explosif, qui l’oppose aux Palestiniens.
Ainsi, l’État d’Israël se construit d’éléments hétéroclites institutionnels, territoriaux, politiques et humains, au gré des circonstances mais avec une volonté farouche d’exister et d’assurer sa sécurité, quel qu’en soit le prix.
Sous l’angle institutionnel, Israël n’a pas de constitution. Les partis religieux pour lesquels la seule loi fondamentale est la loi divine, formée par la Torah, en bloquent l’adoption de sorte que les institutions établies sous le mandat britannique perdurent. Les forces politiques s’inscrivent dans la suite des débats politiques de l’entre-deux-guerres : la gauche sociale-démocrate et sioniste conduite par Ben Gourion se perpétue à travers le parti travailliste qui est le parti dominant duquel sont issus les premiers ministres du pays jusqu’à 1977. Il dirige l’État avec l’appui d’autres partis de gauche ou religieux et de l’organisation syndicale Histadrout qui structure l’essentiel de la vie économique et sociale. Cette domination est brisée par une coalition conduite par le Likoud, parti nationaliste libéral, dirigé par Menahem Begin, ancien chef de l’Irgoun il se maintient au pouvoir jusqu’à 1992 avec des phases de partage du pouvoir puis d’alternance. En raison d’un scrutin proportionnel complexe, les partis religieux minoritaires favorisent l’alternance et influencent la politique à l’égard des Palestiniens. Pourtant l’État est un État laïc, le judaïsme n’est pas religion d’État, mais en pratique la religion domine la vie sociale en raison des principes de la loi juive intégrés au droit national, du poids des institutions rabbiniques et du statut personnel des citoyens dicté par l’appartenance religieuse, juive, chrétienne ou musulmane. Surtout, cette dimension religieuse est sensible en matière d’immigration : Israël est un État sioniste, ouvert aux juifs du monde entier, la loi du Retour proclamant en 1950 le droit de tout Juif d’immigrer en Israël. En 2018, cette loi est devenue la Loi fondamentale du pays, Israël étant l’État-Nation du peuple juif. La loi du Retour ne dispose pas explicitement que seuls les juifs sont éligibles pour l’aliyah ou immigration en Israël. Aucun texte ne déclare que les non-juifs ne sont pas autorisés à s’établir dans le pays, mais la Knesset n’a promulgué aucune loi qui permet aux citoyens étrangers – non juifs ni sans lien avec une personne juive – d’obtenir le statut de résident permanent en Israël sans lien avec un citoyen ou résident d’Israël. En cinquante ans, plus de trois millions sont arrivés en Israël sur plus de 8 millions d’habitants. Ainsi environ 75 % de la population est juive et 25 % est arabe de confession musulmane, druze et chrétienne.
De façon parallèle, le territoire occupé par Israël s’est accru. En effet, les armistices de 1949 n’ont pas abouti à la conclusion de la paix entre Israël et l’ensemble des États arabes, ni même à l’établissement d’un territoire palestinien stable et a fortiori de l’État prévu en 1947. En outre la tension est entretenue par les incidents relatifs aux zones démilitarisées, aux frontières, à l’utilisation des ressources en eau, aux voies maritimes, à la circulation entre les diverses portions du territoire…
En 1948, l’ONU avait établi une commission de conciliation pour régler le sort des Palestiniens : délimitation des frontières, situation des réfugiés. Les conférences de Lausanne (1949), Genève (1950) et Paris (1951) ont été vaines. Israël refuse de remettre en cause les conquêtes de la guerre de 1949 mais entend régler les questions territoriales. Les Arabes exigent l’application des résolutions de l’ONU. La Ligue arabe exclut toute négociation et conclusion d’une paix séparée ou d’un accord politique ou d’autre nature entre Israël et un État arabe. Les tentatives américaines de régler le sort des réfugiés en les réinstallant dans des zones nouvelles de mise en valeur sont vaines. Israël détourne les eaux du Jourdain pour irriguer le désert du Neguev, installe des colonies dans les zones disputées, expulse les Palestiniens, tandis que des groupes irréguliers s’infiltrent dans les territoires sous contrôle israélien. La Jordanie, née de l’absorption de la Cisjordanie par la Transjordanie, prolonge le canal de Ghor pour l’irrigation et le ravitaillement des villes en eau. L’Égypte occupe la bande de Gaza et, sous couvert de l’état de guerre entre les deux pays, interdit l’accès des navires israéliens au canal de Suez et gène l’accès à la mer Rouge en contrôlant le détroit de Tiran sur lequel débouche le golfe d’Aqaba ou d’Eilat.
De part et d’autre les positions se durcissent. Les puissances occidentales, préoccupées par la sécurité de la région, semblent prendre position en faveur du statu quo, ce qui indispose les États arabes. En Égypte, la chute de la monarchie fait place à un régime nationaliste, dirigé par Nasser qui obtient le retrait des troupes britanniques, refuse d’adhérer au pacte de Bagdad, alliance militaire inspirée par les États-Unis, évolue vers le neutralisme et se tourne vers les États socialistes, ouvrant ainsi la région à l’URSS. Les incidents de frontière entre Israël et l’Égypte se multiplient, ce dernier État apportant son soutien aux fedayin, commandos palestiniens qui multiplient leurs incursions en territoire contrôlé par Israël et déclenchent des représailles. La décision de Nasser de nationaliser la Compagnie du canal de Suez détenue par des actionnaires franco-anglais provoque les deux puissances qui, s’associant à Israël par un accord secret, mettent sur pied une intervention militaire en octobre 1956. Tandis qu’Israël s’empare rapidement du Sinaï et parvient au canal de Suez, les troupes franco-britanniques débarquent mais, sous la pression des États-Unis et de la Russie, arrêtent leur progression. L’ONU met un terme à l’opération franco-britannique, crée une force d’urgence des Nations Unies, déployée le long de la frontière israélo-égyptienne et à Charm-el-Cheikh, et contraint Israël à évacuer le Sinaï mais Israël a atteint ses objectifs en démontrant sa force, en restaurant la liberté de navigation dans le détroit de Tiran et en mettant fin aux incursions des Fedayin.
Toutefois, le grand vainqueur dans la région et le héros du monde arabe est Nasser qui impose son autorité à la Syrie et à l’Irak. Il prend l’initiative de la création de l’OLP, organisation de libération de la Palestine, consacrée en 1964 par la Ligue arabe, après le premier conseil national palestinien dont l’objectif est la réunion de plusieurs groupes palestiniens (Fatah, Front populaire de libération de la Palestine, Front démocratique pour la libération de la Palestine). La présidence de l’OLP est confiée au diplomate palestinien Ahmed Choukeiri, ancien ambassadeur saoudien à l’ONU, lié à l’Égypte, qui évince définitivement l’influence du mufti de Jérusalem El Husseini. La charte de l’OLP proclame que la Palestine est une terre arabe, inséparable de la nation arabe et constituée par des citoyens arabes dans les frontières antérieures à 1947 ; elle fixe comme devoir la libération de la Palestine et comme but de purifier le pays de l’existence sioniste, considérant le partage de la Palestine et la création d’Israël comme des décisions illégales et artificielles, la déclaration Balfour et le mandat britannique comme des impostures. Elle affirme que les juifs ne forment pas un peuple doté d’une personnalité indépendante parce qu’ils sont les citoyens des pays auxquels ils appartiennent. Enfin la charte dénonce le sionisme comme un mouvement colonialiste, agressif, expansionniste, raciste, ségrégationniste dans ses configurations et fasciste dans ses moyens et objectifs.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 1967 – 1973 : La guerre des six jours et la guerre du Kippour
La crise de Suez constitua un succès pour l’orient arabe et en particulier pour les États progressistes qui semblent renforcés par la chute de la monarchie en Irak. L’Égypte de Nasser qui est le symbole de ce groupe progressiste s’unit à la Syrie en une République arabe unie en 1958. Israël redoute un encerclement mais l’union éphémère se dissout en 1961. En revanche, la question palestinienne demeure. La création de l’OLP est de nature à inquiéter l’État juif. La branche militaire du Fatah entreprend des attaques sur le territoire d’Israël, inspirées par l’exemple algérien, alors que la tension renaît avec les États voisins, notamment liée à l’exploitation des eaux du Jourdain et à l’arrivée au pouvoir de nationalistes radicaux en Syrie. Les incidents se multiplient. Le renfort des troupes égyptiennes au Sinaï et la demande par Nasser de retrait des forces de l’ONU sur la frontière israélo-égyptienne, aussitôt acceptée, favorisent l’ouverture des hostilités. La fermeture du détroit de Tiran par l’Égypte est considérée comme une agression par Israël qui déclenche les opérations en détruisant l’aviation arabe le 5 juin 1967. En six jours Israël est victorieux au prix d’un nombre limité de pertes. Le Sinaï jusqu’au canal de Suez, le plateau du Golan, la Cisjordanie jusqu’au Jourdain et Jérusalem-est sont conquis par Israël qui contrôle Charm-El-Cheik et rouvre donc le détroit de Tiran. Ces acquis territoriaux lui offrent en outre le contrôle des ressources hydrauliques. Surtout, il en résulte des mouvements de réfugiés vers la Syrie (100 000) et d’habitants de Cisjordanie qui s’installent dans des camps en Transjordanie (200 000), mais le contrôle de Gaza et de la Cisjordanie place sous l’autorité d’Israël une importante population palestinienne. Israël, soutenu par les États-Unis est en position de force pour négocier avec les États arabes effondrés, en revanche les Palestiniens des commandos ou des camps ne songent qu’à poursuivre la lutte armée pour recouvrer leur liberté et leurs territoires.
Pourtant la résolution 242 (1967) adoptée quelques mois plus tard (22 novembre 1967), si elle rappelle « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre », « demande le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés, la cessation de toute assertion de belligérance, le respect et la reconnaissance de la souveraineté territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force ». Elle ne dit rien des Palestiniens. Ne sont en cause que les États et le texte se borne à affirmer de façon laconique la nécessité de « réaliser un juste règlement du problème des réfugiés ». La résolution 242 prévoyait aussi la désignation par le Secrétaire général de l’ONU d’un représentant spécial pour établir et maintenir des rapports avec les États intéressés en vue de favoriser un accord et aboutir à un règlement politique et accepté. Cette mission fut confiée à Gunnar Jarring et consentie par Israël, l’Égypte, la Jordanie et le Liban, malgré leurs désaccords sur l’interprétation de la résolution. La Syrie accepta conditionnellement la résolution en considérant que le retrait israélien des territoires occupés était une condition sine qua non aux négociations. Les pourparlers poursuivis jusqu’en 1973 n’ont pas abouti et laisseront la place aux négociations plus larges en conférences.
La victoire d’Israël, en effet, mure les États arabes dans un refus obstiné de tout contact avec Israël. Parallèlement, la position des Palestiniens se durcit. Cela s’apprécie à travers la révision de la Charte de l’OLP en 1968, l’appel à triompher par la lutte armée des organisations combattantes et la radicalisation qui s’exprime par le triple refus de la réconciliation, de la reconnaissance et de la négociation avec Israël. La guerre des Six jours a changé l’organisation en force de guérilla à la faveur de l’arrivée à la tête de l’OLP de Yasser Arafat en 1969 qui appelle à la destitution du Roi Hussein de Jordanie. Deux événements vont contribuer à la légende de l’organisation dans le monde arabe :
- la bataille de Karameh lorsqu’en mars 1968 l’armée israélienne attaque le camp palestinien du même nom en territoire jordanien à la suite d’un attentat près d’Eilat revendiqué par le FPLP ;
- Septembre noir en 1970 quand les groupes armés de l’OLP subissent l’assaut des troupes jordaniennes qui les contraignent à quitter la Jordanie après la tentative de renverser le pouvoir royal. Les affrontements se poursuivent jusqu’en 1971 puis l’OLP évincé se replie sur le Liban.
Durant la période 1967-1973, l’OLP peut difficilement s’affirmer en raison de la vulnérabilité de ses commandos armés qui tient à la dépendance de l’organisation à l’égard des États arabes. Elle ne dispose, en effet, d’aucune assise territoriale ; or elle dépend du financement des pays arabes et de leur soutien politique. Cependant les institutions de l’OLP sont remaniées, les mouvements de résistance armée se multiplient et certains intègrent l’organisation. Les États arabes conservent un rôle essentiel dans la confrontation avec Israël.
Inversement, Israël conduit une politique d’implantation partielle dans les territoires occupés. Cela dénote la volonté de se dégager des lignes d’armistice ou de démarcation fixées avant la guerre des six jours. Le plan du ministre Ygal Allon, adopté par le gouvernement travailliste, prévoit l’annexion d’une bande de dix à quinze kilomètres le long de la vallée du Jourdain d’une partie du désert de Judée. Là sont prévues des bases militaires puis des colonies rurales et urbaines qui supposent des confiscations de terres arabes réputées abandonnées ou appartenant aux « États ennemis ». Cette politique s’applique à la Cisjordanie, au plateau du Golan et à une partie nord-est du Sinaï et elle sera poursuivie et étendue par la suite sauf dans le Sinaï restitué en 1982. Des accrochages avec les États voisins se produisent sur les lignes de démarcation, de sorte que le cessez-le-feu ne semble pas respecté et cela entretient une guerre d’usure qui peut déboucher sur une reprise des hostilités ; aussi paradoxalement, après un temps, les pourparlers reprennent par l’intermédiaire du secrétaire d’État américain William Rogers en 1970. Après la mort de Nasser, le nouveau président égyptien Anouar El Sadate accepte un plan par étapes sous réserve de l’évacuation totale par Israël des territoires occupés. Les Israéliens refusent. Ils sont préoccupés par la lutte contre les organisations palestiniennes dont les actes de terrorisme se multiplient, illustrés par la prise d’otages en 1972 aux jeux Olympiques de Munich. Les avertissements du président égyptien sur les risques d’une reprise des hostilités restent sans écho. Aussi les opérations déclenchées par l’Égypte et la Syrie le 6 octobre 1973, jour du Yom Kippour, créent la surprise. L’équipement des armées arabes, notamment par les soviétiques, permet à l’Égypte et à la Syrie de résister tout en préparant la paix par les négociations conduites par les États-Unis. Cette situation aboutit à l’adoption de la résolution 338 qui appelle au cessez-le-feu et à l’application de la résolution 242 de 1967. Les États arabes acceptent mais Israël poursuit son action militaire. Les soviétiques envisagent d’intervenir, les États-Unis placent leurs forces nucléaires en état d’alerte les 24-25 octobre ; l’alarme des grandes puissances permet l’entrée en vigueur du cessez-le-feu qui met un terme à l’affrontement armé. Malgré sa victoire, Israël est ébranlé. Cela se traduit par un changement de gouvernement en avril 1974 : Yitzhack Rabin succède à Golda Meir. Les élections suivantes sont favorables au Likoud dirigé par Menahem Begin qui accède au pouvoir en 1977. Inversement le Président Sadate en sort renforcé et il pourra faire évoluer la diplomatie égyptienne. Ces changements ont un écho dans l’ensemble des États arabes qui vont accepter de s’engager dans des négociations avec Israël.
Les négociations sont lentes mais des signes favorables sont donnés par la signature d’accords de désengagement des forces sur le Golan entre la Syrie et Israël (31 mai 1974) et sur le Sinaï entre ce dernier et l’Égypte (4 septembre 1975). Une force de sécurité des Nations Unies est établie dans des zones tampons, pour mettre en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité et les accords entre les parties. Le rapprochement entre celles-ci a été favorisé aussi par la « diplomatie de la navette » et « des petits pas » de Henry Kissinger qui faisait suite à un certain immobilisme des États-Unis.
Pour éviter le retour à cet immobilisme, le Président Sadate prend l’initiative audacieuse d’établir des contacts secrets puis directs et officiels avec Israël pour négocier une paix durable et totale, mais non une paix séparée. Il se rend à Jérusalem où il prononce son célèbre discours devant la Knesset le 20 novembre 1977. Il se déclare prêt à reconnaître l’existence d’Israël à l’intérieur de ses frontières en sécurité avec toutes les garanties nécessaires. En contrepartie, il attend le retrait complet des territoires occupés par la force, y compris la Jérusalem arabe, la ville devant être libre et ouverte aux croyants des trois religions. La cause palestinienne est le nœud du problème et nul ne saurait ignorer la personnalité et l’existence du peuple palestinien.
Cela débouche sur la première conférence de Camp David (5-17 septembre 1978) qui aboutit à la signature de deux accords : un traité de paix israélo-égyptien qui sera conclu et signé le 26 mars 1979 à Washington et un accord cadre tendant à des négociations destinées à doter la Cisjordanie et Gaza d’un statut d’autonomie dans le respect de la résolution 242 (1967). Toutefois, ces accords n’engagent que Sadate et les discussions sont à suivre. Or, les discussions sur le second accord n’aboutissent à rien : la Jordanie refuse d’y participer, l’Egypte veut faire reconnaître les droits des Palestiniens mais Israël n’a pas l’intention de renoncer à la Cisjordanie et à Gaza, considérant que l’évacuation du Sinaï occupé depuis 1967 suffit mais elle ne sera effective qu’en 1982.
Quant aux Palestiniens, leur position a évolué. Après leur refus de toute solution négociée entre 1967 et 1973, Arafat exprime sa volonté de participer à des négociations dès le 10 octobre 1973. Néanmoins, le programme en dix points adopté par le Conseil national palestinien en 1974 reste ferme : il appelle à la lutte par tous les moyens, principalement par les armes, pour libérer la terre palestinienne et mettre en place une autorité nationale indépendante et combattante du peuple sur toute portion du territoire palestinien qui sera libérée (point 2). Ce point qui sera repris en 1993 dénote que l’OLP n’envisage pas un règlement global mais accepte une libération par étapes. Il est hostile à tout projet d’entité palestinienne dont le prix serait la reconnaissance et la réconciliation de l’ennemi et la conclusion d’une paix qui lui reconnaîtrait des frontières sûres, le renoncement au droit national du peuple palestinien et la privation de ses droits au retour et à l’autodétermination sur l’ensemble du territoire palestinien (point 3). Sous la pression de certains États arabes, une inflexion se fait jour à travers la revendication d’un État palestinien dans les frontières de 1967 (avant la guerre des six jours) mais certaines composantes du mouvement font dissidence et forment le front du refus (FPLP de Georges Habache, Front de libération arabe et autres).
Ces accords présentés comme un triomphe de la diplomatie américaine reprennent la proposition faite par Sadate en février 1971 avec sept ans de retard et après une guerre qui a encore bouleversé la région et qui aurait pu être évitée. L’Égypte a accepté, de facto, de conclure une paix séparée, hantise des Palestiniens qui redoutent la création d’un État fantoche, mais elle n’a pas obtenu un règlement global. Isolée, son appartenance à la Ligue arabe est suspendue jusqu’en 1990 et le siège de l’organisation est transféré du Caire à Tunis. En 1981, le Président Sadate est assassiné par un commando islamiste. La guerre entre Israël et les États arabes n’a pas repris mais le conflit avec les Palestiniens demeure car ils rejettent de façon unanime et parfois violente les solutions de Camp David qui ne marquent pas, selon eux, une avancée vers la paix. Les forces radicales rejoignent l’OLP qui se reforme sur la base de son programme de 1974.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 1974-1980 : Persistance du contentieux palestinien.
Paradoxalement, Israël sort également isolé des négociations de Camp David car la plupart des États reconnaissent désormais les droits ou les aspirations légitimes du peuple palestinien à constituer un État. Cela n’est pas seulement le fait des États arabes qui, en 1973, ont reconnu l’OLP comme unique représentant du peuple palestinien. Après avoir reconnu en 1970 que le peuple de Palestine doit pouvoir jouir de l’égalité des droits et exercer son droit à disposer de lui-même, l’Assemblée générale des Nations Unies déclare que « le respect intégral des droits inaliénables du peuple de Palestine est un élément indispensable à l’établissement d’une paix juste et durable ». En 1974, Yasser Arafat, président de l’OLP, est invité à s’exprimer devant l’Assemblée générale des Nations Unies. Celle-ci, quelques jours plus tard, réaffirme les droits inaliénables du peuple palestinien à l’autodétermination, à l’indépendance, à la souveraineté et au retour. En outre, elle invite l’organisation palestinienne à participer à ses travaux et à ceux des grandes conférences des Nations Unies en qualité d’observateur. Un comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien est créé en 1975 par la résolution 3376 de l’Assemblée générale, dans laquelle celle-ci demande également au Comité de la conseiller sur des programmes destinés à permettre au peuple palestinien d’exercer ses droits inaliénables, y compris le droit au retour des Palestiniens dans leurs foyers et vers leurs biens, d’où ils ont été déplacés. Depuis, l’Assemblée a adopté chaque année une résolution renouvelant le mandat du Comité.
Après la Commission de Venise en 1980 en Europe, aux États-Unis le Président Reagan reconnaît en 1982 que la cause des Palestiniens est plus qu’une question de réfugiés et il fait état de leurs justes revendications.
Loin de marquer la reprise du dialogue entre Israël et les Palestiniens, les années 80 voient un durcissement des positions du premier et une exaspération montante des seconds.
Ni les accords internationaux ni la législation d’Israël n’accordent un statut définitif aux Palestiniens. Les autorités préfèrent consolider la présence israélienne en Cisjordanie, à Gaza et même dans le Golan en une « effectivité » au sens du droit international : les implantations ou colonies dans ses territoires se multiplient et s’étendent. Les partis politiques s’entendent sur un point : il n’existe pas une nation palestinienne ; par conséquent il n’y a pas lieu d’établir un État palestinien qui est déjà constitué en Jordanie. Les Arabes des territoires occupés doivent jouir de droits individuels mais ceux-là ne sont pas des droits nationaux. Cette position s’explique aussi bien par des raisons de principes que par des considérations de sécurité et stratégiques qui demeurent la préoccupation majeure des gouvernements. Les territoires en cause ne sont pas « occupés » mais « libérés », la Cisjordanie est d’ailleurs désignée comme la Judée Samarie. Même les partis juifs traditionalistes, à l’origine hostiles au sionisme, défendent un sionisme religieux ou messianique pour justifier la « colonisation » : le droit d’installation des juifs en Palestine résulte de la promesse divine biblique de concéder ce territoire aux Israélites.
Cela se traduit en pratique non seulement par l’accaparement des terres et des ressources en eau de la région mais par des actes de souveraineté. Tout d’abord, la législation intègre les territoires occupés du fait soit des opérations militaires soit de la confiscation ou de l’acquisition de terres. Ensuite, la loi fondamentale du 30 juillet 1980, adoptée à l’unanimité des partis politiques sauf les voix des députés arabes israéliens, déclare Jérusalem entière et unifiée capitale d’Israël. Le Conseil de sécurité constate, par ses résolutions 476 du 30 juin 1980 et 478 du 20 août 1980, que cette loi n’a aucune validité en droit et constitue une violation flagrante de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre ; pourtant, elle n’en affecte nullement l’application dans les territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis juin 1967, y compris Jérusalem. Enfin, une loi du 14 décembre 1981 étend la législation, la juridiction et l’administration israéliennes au plateau du Golan. Par la résolution 497 du 17 décembre 1981, le Conseil de sécurité déclare à l’unanimité mais en vain cette loi comme « nulle et non avenue et sans effet sur le plan international ». De façon itérative, le Conseil adopte une résolution annuelle sur le Golan occupé jusqu’à 2018 lorsque les États-Unis transforment leur abstention en vote négatif.
Du côté palestinien, ces mesures exaspèrent. L’approche pragmatique retenue dans le programme de 1974 de l’OLP, confirmée en 1977 et 1980, malgré l’opposition des plus radicaux, bénéficiait du soutien des chefs d’États arabes. Cela n’a pas assoupli la position d’Israël qui voit dans l’OLP une organisation combattante qui n’a pas renoncé à la lutte armée ; de plus, elle laisse entendre que la création d’un État en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ne pourrait constituer qu’une étape vers la réalisation de l’objectif de l’organisation : un État sur l’ensemble du territoire de la Palestine. Précisément, après les massacres de septembre noir en Jordanie, la résistance palestinienne s’est repliée au Sud-Liban où l’OLP installe ses troupes de plusieurs milliers de combattants.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 1982 : L’intervention d’Israël au Liban
La présence des Palestiniens au Liban a contribué au déclenchement de la guerre civile en 1975 entre les divers partis musulmans et chrétiens qui disposent tous de milices armées. Les groupes palestiniens ne manquent pas d’y être mêlés tandis que l’effondrement de l’État libanais favorise l’intervention de la Syrie et son implantation durable. L’absence d’autorité dans le pays permet aux commandos de l’OLP de mener des attaques contre le territoire israélien et de bombarder la Galilée. Dès 1978, Israël avait riposté et repoussé momentanément les forces palestiniennes dont le harcèlement a donné lieu à des représailles à plusieurs reprises. En juin 1982, Israël déclenche l’opération Paix en Galilée et envahit le Liban dans le dessein avoué d’éliminer les bases de l’OLP. Le Conseil de sécurité exige aussitôt qu’Israël retire « immédiatement et inconditionnellement » ses forces militaires jusqu’aux frontières internationalement reconnues. Un cessez-le-feu intervient entre les forces palestiniennes et Israël mais il ne dure pas. Les Palestiniens sont défaits, les Syriens ébranlés, Tsahal pousse jusqu’à Beyrouth assiégée, les pertes sont immenses, l’OLP est démantelée et Yasser Arafat avec son état-major se réfugient à Tunis. Au mois d’août 1982, un accord est trouvé pour l’évacuation des combattants Palestiniens et des forces syriennes de Beyrouth. L’évacuation est réalisée sous le contrôle d’une force internationale. Israël comptait aussi redresser l’État libanais en le confiant aux milices chrétiennes. C’est un échec : à peine élu Président de la République, Bachir Gemayel, allié à Israël, est assassiné. Ce meurtre aboutit aux massacres de Palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila. Un accord est conclu le 17 mai 1983 entre Israël et le Liban. Il met fin à la guerre sans être un traité de paix. Il ne sera ni ratifié ni appliqué et il est dénoncé en mars 1984.
Il importe de relever qu’en septembre 1982, pour la première fois dans l’histoire du conflit israélo-arabe, au sommet de Fès les pays arabes proposent un plan de paix. Largement inspiré du plan Fahd, il reconnaît le droit d’Israël à l’existence et demande la création d’un État palestinien indépendant. Au lendemain de l’évacuation de l’OLP de Beyrouth, l’organisation palestinienne est confirmée comme le « représentant unique et légitime » du peuple palestinien. Le plan consiste dans le retrait d’Israël des territoires occupés en 1967, y compris Jérusalem-Est, le démantèlement des colonies dans les territoires arabes occupés, la garantie d’accès et de culte pour toutes les religions dans les lieux saints ; il prévoit en contrepartie la réaffirmation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à l’exercice de ses droits nationaux inaliénables sous la conduite de l’OLP, le placement de la Cisjordanie et de la bande de Gaza sous la tutelle des Nations Unies pour une période transitoire, la création d’un État palestinien indépendant ayant Jérusalem pour capitale. Il reviendrait au Conseil de sécurité de garantir la paix entre tous les États de la région y compris l’État palestinien. Cette proposition contrastait avec la résolution de Khartoum du 1er septembre 1967 par laquelle la Ligue arabe formulait « trois non » : non à la paix avec Israël, non à la reconnaissance d’Israël, non à la négociation avec Israël.
En septembre 1983, la Conférence internationale des Nations Unies sur la Palestine adopte les principes suivants : la nécessité de s’opposer à l’implantation de colonies de peuplement par Israël et aux mesures prises par ce dernier pour modifier le statut de Jérusalem, le droit à l’existence de tous les États de la région, à l’intérieur de frontières sûres et internationalement reconnues, et la réalisation des droits légitimes inaliénables du peuple palestinien.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 1987 : Première Intifada et naissance du Hamas
L’année 1987 marque le début d’un soulèvement de masse des Palestiniens des territoires occupés contre Israël. Pour Israël, la mobilisation populaire est une surprise. Elle est inattendue aussi pour l’OLP. La population de Cisjordanie et de la bande de Gaza a considérablement augmenté, elle a aussi changé en raison de l’émigration des Chrétiens de Gaza. Le sentiment national est exacerbé par l’occupation israélienne et la répression menée par les autorités jordaniennes. À cela s’ajoute l’effet des élections municipales qui ont contribué à remplacer les notables traditionnels par de nouveaux dirigeants politiques nationalistes et proches ou membres des organisations palestiniennes. L’exaspération est d’autant plus aiguë qu’en 1982 Israël soumet les territoires à une administration directe. La « guerre des pierres » – et de cocktails Molotov – commencée dans la bande de Gaza en décembre 1987 et qui s’étend à la Cisjordanie est un mouvement spontané, suscité par les confiscations de terres, la répression vigoureuse de l’effervescence des universités, la multiplication des associations liées aux groupes nationalistes mais aussi aux mouvements islamistes qui se radicalisent. Le mouvement donne lieu à des émeutes violentes réprimées par l’armée israélienne et à des attentats contre la population israélienne. En l’absence de Yitzhak Rabin, alors ministre de la Défense, la réaction des autorités n’est pas immédiate et l’intifada s’étend à la Cisjordanie. Elle s’accompagne également de conflits entre les factions palestiniennes. La population palestinienne s’estime abandonnée aussi bien par l’OLP que par les pays arabes. La révolte populaire, parfois menée par des adolescents ou des enfants et des femmes, s’en prend aux soldats israéliens, à la police mais aussi aux civils israéliens des colonies, par des jets de pierre, d’engins explosifs artisanaux ; elle s’accompagne de barricades, de manifestations, de distributions de tracts et d’une campagne de désobéissance civile. Les comités populaires forment clandestinement un commandement unifié de l’Intifada, distinct des organisations de l’OLP qui n’a pris part ni au déclenchement ni à l’organisation de l’Intifada. Alors que son commandement estimait qu’elle ne pourrait aller au-delà de six mois, la première Intifada dura jusqu’à 1993 et aux accords d’Oslo. Les méthodes employées par les forces israéliennes ont fait de nombreux blessés ou morts parmi la population palestinienne. Ces événements ont rapproché les différentes couches sociales et renforcé la conscience d’un sentiment national. Ils ont aussi favorisé l’émergence d’une nouvelle classe politique constituée par des activistes mais aussi des jeunes diplômés.
Dans ce climat éclôt le Hamas. Cheikh Ahmed Yassine, paralysé des jambes depuis son enfance, grand malade, aveugle, membre des Frères musulmans vivant à Gaza où il est réfugié depuis 1948, avait été arrêté pour contrebande d’armes et en raison de ses agissements politiques. Il est libéré un an plus tard, en 1985, à la faveur de l’accord Jibril aux termes duquel plus de mille détenus arabes palestiniens sont échangés contre trois soldats israéliens capturés pendant la guerre du Liban. Dans les années 1970, il avait créé le mouvement Al-Moujama al-Islami. Les autorités d’Israël avaient laissé faire car l’influence des intégristes dans la bande de Gaza contrariait le mouvement Fatah de Yasser Arafat. Dans les années 1980, à la suite de la révolution iranienne, il fonde une organisation intégriste plus radicale, Majd el-Moudjahiddine – gloire des combattants de l’Islam. Alors qu’il était réservé sur le recours à l’action armée contre Israël, peu après le début de l’Intifada, il lance un tract, signé Mouvement de résistance islamique jusqu’alors inconnu, appelant à se joindre au mouvement. La création du Commandement unifié de l’Intifada lui paraît une manœuvre de l’OLP pour contrôler le mouvement populaire. Prenant pour base institutionnelle son mouvement Majd el-Moudjahidine, il décide de créer le « Hamas » le 14 décembre 1987. Il le présente comme l’aile para-militaire et palestinienne des Frères musulmans. Le mot désigne « vigueur et courage » mais il est le sigle du Mouvement de la résistance islamique. Arrêté en mai 1989 par Israël, condamné à la prison à vie en 1991, il reste impassible et clame à ses juges : « Le peuple juif a bu au verre de la souffrance et a vécu dispersé dans le monde. Aujourd’hui, c’est le même peuple qui veut forcer les Palestiniens à boire à ce verre. L’histoire ne vous pardonnera pas et Dieu nous jugera tous ».
Libéré début octobre 1997, il est banni en Jordanie sur une intervention du roi Hussein. Outré par une tentative des services secrets israéliens d’assassiner à Amman le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal, le Roi a obtenu la libération de cheikh Yassine contre celle des deux agents israéliens arrêtés en Jordanie.
La Charte du Hamas adoptée en 1988, révisée en 2017, considère que la terre de Palestine est une terre islamique de main-morte (waqf). « Il est illicite d’y renoncer en tout ou en partie, de s’en séparer en tout ou en partie. Aucun État arabe, aucune autorité, ni organisation n’en a le droit car elle est une terre islamique pour toutes les générations de musulmans jusqu’au jour de la résurrection… Il n’y aura de solution à la cause palestinienne que par le jihad. Quant aux initiatives, propositions et autres conférences internationales, ce ne sont que pertes de temps et activités futiles…le Jihad pour libérer la Palestine est une obligation religieuse individuelle. Face à l’usurpation de la Palestine par les Juifs, il faut brandir l’étendard du jihad ».
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 1988 : Déclaration d’indépendance de l’État de Palestine
Déclenchée sans son concours, l’Intifada contribue à renforcer l’OLP qui constitue l’expression institutionnelle du nationalisme palestinien et à écarter définitivement les prétentions du Roi Hussein sur la Cisjordanie : le 31 juillet 1988, le Roi rompt tous liens administratifs et politiques avec le territoire au grand dépit des Israéliens. Dès le 15 novembre 1988, le Conseil national palestinien, réuni à Alger, a su tirer parti du mouvement pour proclamer la déclaration d’indépendance de l’État de Palestine. Cette initiative fait suite à une première tentative de proclamation en 1985 à Tunis, avortée sous le coup d’une attaque israélienne. « Le Conseil national palestinien, au nom de Dieu et au nom du peuple arabe palestinien, proclame l’établissement de l’État de Palestine sur notre terre palestinienne, avec pour capitale Jérusalem ».
La déclaration rappelle les liens historiques entre le peuple arabe palestinien et le sol, la multiplicité des civilisations et la diversité des cultures dans lesquelles ce peuple puise ses traditions spirituelles et temporelles. Elle ajoute qu’ « en dépit de l’injustice historique imposée au peuple arabe palestinien, qui a abouti à sa dispersion et l’a privé de son droit à l’autodétermination au lendemain de la résolution 181 (1947) de l’Assemblée générale des Nations unies, recommandant le partage de la Palestine en deux États, l’un arabe et l’autre juif, il n’en demeure pas moins que c’est cette résolution qui assure, aujourd’hui encore, les conditions de légitimité internationale qui garantissent également le droit du peuple arabe palestinien à la souveraineté et à l’indépendance ».
Mais avec l’intifada et l’expérience révolutionnaire accumulée, les Palestiniens sont parvenus à un tournant décisif. Le moment est venu de réaffirmer ses droits inaliénables et leur exercice sur le sol de la Palestine. À cette fin, la déclaration invoque les droits naturels et historiques, les sacrifices des générations successives, les résolutions des sommets arabes et la primauté du droit et de la légalité internationale incarnée par les résolutions de l’ONU depuis 1947.
Immédiatement rejeté par le Premier ministre d’Israël Yitzhak Shamir, l’État de Palestine est accepté comme tel par la Ligue arabe et l’Organisation de coopération islamique. Le 15 décembre 1988, l’Assemblée générale de l’ONU prend acte de la proclamation, affirme qu’il est nécessaire de permettre au peuple palestinien d’exercer sa souveraineté sur son territoire occupé depuis 1967, décide que désormais la désignation de Palestine devrait être employée au sein des Nations Unies au lieu de celle d’OLP, sans préjudice du statut et des fonctions d’observateur de cette organisation au sein de l’ONU (Rés. 43/177).
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– Les années 1990 : Le processus de paix et les accords d’Oslo
La période s’ouvre par une décision symbolique et importante du Conseil de sécurité. Le 5 octobre 1990, en réponse à la demande de l’Observateur de Palestine, le Conseil de sécurité autorise le chef du département politique de l’OLP à participer aux discussions du Conseil sur la situation dans les territoires palestiniens occupés, étant entendu que cette invitation lui conférerait les mêmes droits de participation que ceux dont jouit un État membre aux termes du règlement intérieur du Conseil. Cette décision a été adoptée par onze voix contre une (États-Unis), avec trois abstentions (Canada, France, Royaume-Uni). S’agissant d’une question de procédure, le vote négatif d’un membre permanent ne constituait pas un veto.
L’intervention de l’Irak au Koweït et la guerre du Golfe provoquent la division du monde arabe. De puissants États arabes tels que l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Syrie rejoignent la coalition formée par les États-Unis tandis que d’autres soutiennent l’Irak. Tel est le cas de l’OLP, sensible au lien établi par Saddam Hussein entre le règlement de la crise du Koweït et celui de l’affaire palestinienne. Après un temps, l’OLP condamne l’intervention étrangère en terre arabe et se rallie ouvertement à l’Irak. Depuis Bagdad,Yasser Arafat déclare : « L’Irak et la Palestine incarnent une volonté commune. Nous serons ensemble côte à côte, et après la grande bataille, avec la volonté de Dieu, nous prierons ensemble à Jérusalem. Les combattants irakiens et les lanceurs de pierres palestiniens ont un rendez-vous commun avec la victoire ».
Les opérations militaires donnent lieu à des tirs de missiles irakiens sur Israël, Saddam Hussein menace même de recourir aux armes chimiques. Les États-Unis dissuadent Israël de répliquer et assurent la défense anti-aérienne du pays. La guerre du Golfe s’achève rapidement mais constitue un choc pour l’ensemble des pays de la région. D’une part Israël mesure sa vulnérabilité en raison de l’absence de profondeur stratégique de son espace y compris les territoires occupés. D’autre part, l’OLP a perdu de sa crédibilité et le soutien financier des monarchies pétrolières. Une ère propice aux négociations et de compromis s’ouvre aux parties en cause au Proche Orient. La légalité internationale invoquée pour agir contre l’Irak doit être également respectée en Palestine. En outre, l’affaiblissement puis la disparition de l’Union soviétique ouvre aux États-Unis un rôle de puissance impériale destinée à soutenir ou sanctionner mais aussi à servir de médiateur.
Dans ces circonstances il revient au secrétaire d’État américain James Baker, par ses multiples visites au Proche Orient, de convaincre les parties intéressées, Israël, les pays arabes de la région et les Palestiniens, de se rallier au projet de conférence internationale sous l’autorité des Américains et des Russes. Cela explique la formulation inhabituelle des documents qui seront signés à Oslo quelques mois plus tard.
En 1991, une Conférence de paix est convoquée à Madrid dans le dessein de parvenir à un règlement pacifique dans le cadre de deux processus parallèles de négociations directes : l’un entre Israël et les États arabes, l’autre entre Israël et les Palestiniens, sur la base des résolutions précitées 242(1967) et 338(1971) du Conseil de sécurité. Ces négociations parallèles doivent porter sur des questions intéressant l’ensemble de la région, telles que l’environnement, le contrôle des armes, les réfugiés, l’eau et l’économie. Toutefois, le processus de paix entre Israël et les Palestiniens est surtout favorisé par les changements politiques en Israël. À la faveur des élections législatives de 1992, les travaillistes l’emportent sur le Likoud et accèdent au pouvoir. Le nouveau Premier ministre Itzhak Rabin fait aussitôt connaître ses offres de paix. Il gèle les implantations dans les territoires occupés, abroge la législation de 1986 qui interdisait les contacts avec l’OLP et surtout, il entreprend des pourparlers secrets avec des représentants des Palestiniens, rendus possibles notamment par Johan Joergen Holst, ministre des affaires étrangères norvégien. Tandis que la conférence de paix israélo-arabe se tenait à Madrid entre personnalités officielles, entre janvier et août 1993, quatorze réunions ont eu lieu en Norvège dans une discrétion absolue.
Les accords d’Oslo qui consistent en une Déclaration de principes sur les arrangements intérimaires d’autonomie consacrent de nouvelles négociations et la reconnaissance mutuelle du Gouvernement d’Israël et de l’OLP, en tant que représentante du peuple palestinien. Au terme de leurs discussions discrètes à Oslo, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le chef de l’OLP Yasser Arafat échangent des lettres de reconnaissance mutuelle les 9 et 10 septembre 1993 puis ils signent la déclaration de principes le 13 septembre à Washington.
Le soin de la rédaction de la déclaration dénote un certain embarras : « le gouvernement de l’État d’Israël et l’équipe de l’OLP (de la délégation jordano-palestinienne à la Conférence pour la paix au Proche-Orient) (la « délégation palestinienne »), représentant le peuple palestinien, sont convenus qu’il est temps de mettre fin à des décennies d’affrontement et de conflit, de reconnaître leurs droits légitimes et politiques mutuels, et de s’efforcer de vivre dans un climat de coexistence pacifique, de respect et de sécurité mutuelles, afin de parvenir à un règlement de paix juste, durable et global ainsi qu’à une réconciliation historique par le biais du processus politique convenu ». Le texte est signé par les puissances (États-Unis, Russie) qui garantissent ainsi les parties principales.
Des accords d’application ultérieurs conduisent au retrait partiel des forces israéliennes, à la tenue d’élections au Conseil législatif palestinien et à la présidence de l’Autorité palestinienne, à la libération d’une partie des prisonniers et à la création d’une administration fonctionnelle dans les zones auto-administrées par les Palestiniens.
L’accord Gaza Jéricho du 4 mai 1994 détermine les compétences et responsabilités de l’Autorité palestinienne autonome intérimaire. Ensuite, l’accord intérimaire sur la Cisjordanie et la bande de Gaza est signé par Yitzhak Rabin, Premier ministre d’Israël, et par Yasser Arafat, Président de l’OLP, à Taba le 24 septembre 1995 puis à Washington le 28 septembre, en présence des représentants américains, européens, russes, égyptiens, jordaniens et norvégiens. Il prévoit les modalités d’élection et les compétences du Conseil législatif palestinien dont les membres seront élus en janvier 1996, ainsi que le Président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat. Ainsi sont transférés la bande de Gaza et Jéricho ; cela est complété par les modalités du retrait militaire israélien des villes et des villages palestiniens ainsi que des terres domaniales qui leur sont rattachées, de Cisjordanie découpée en trois zones. Cela est complété en 1997 par le protocole d’Hébron qui définit aussi deux zones de retrait.
La paix est inachevée. Les négociations d’Israël avec la Syrie n’aboutissent pas. Les deux parties se heurtent sur le sort du plateau du Golan. La Syrie en exige la restitution intégrale. Pour Israël l’enjeu est stratégique tant pour sa sécurité qu’en raison des ressources en eau. Le Liban, largement contrôlé par la Syrie, laisse le Hezbollah lutter contre la zone de sécurité établie par Israël dans le Sud-Liban. Surtout, la conclusion des accords israélo-palestiniens n’a pas mis un terme à la colonisation des territoires occupés. La présence juive s’accroît, les travaux de construction de routes et d’immeubles continuent et même la politique d’expropriation des terres arabes se poursuit.
La Déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d’autonomie a reporté les discussions sur certaines questions à des négociations ultérieures sur le statut permanent. Mais les cycles de négociations qui se sont tenus par la suite en 2000-2001 à Camp David et à Taba, 2007-2008 et 2013-2014 n’ont pas abouti.
Par ailleurs, l’hostilité de l’opinion à l’évolution de la Cisjordanie et de la bande de Gaza se fait sentir dans l’opinion israélienne qui redoute les menées terroristes de l’OLP ou d’autres groupes radicaux. Dans ce climat de tension, le Premier ministre Itzhak Rabin est assassiné le 4 novembre 1995 par un extrémiste religieux juif. Le gouvernement de Shimon Pérès applique les accords signés avec l’OLP et le 20 janvier 1996 se tiennent des élections destinées à la mise en place des institutions politiques palestiniennes. Yasser Arafat est élu triomphalement à la tête de l’Autorité palestinienne ; il obtient pour son parti une ample majorité au conseil législatif. Cela n’arrête pas les islamistes radicaux qui mènent des campagnes d’attentats, en particulier à Tel Aviv, tandis qu’au Sud-Liban le Hezbollah poursuit ses opérations contre Israël. Dans ce contexte, le 29 mai 1996, le Likoud et les partis de la droite religieuse gagnent les élections et son chef Benjamin Netanyahou est élu Premier ministre. Rompant avec le résultat du processus de paix, le nouveau Premier ministre refuse l’établissement d’un État palestinien en Cisjordanie (Judée Samarie). Il refuse toute négociation sur Jérusalem, il refuse aussi la restitution du plateau du Golan à la Syrie. Il se déclare favorable à la poursuite et même l’intensification des implantations dans les territoires occupés.
Le sommet de Camp David en juillet 2000, sous la présidence de Bill Clinton, ne permet pas de dégager un compromis entre Yasser Arafat et le Premier ministre d’Israël Ehoud Barak. Les désaccords portent d’abord sur les aspects territoriaux du règlement. Les Palestiniens avaient accepté la ligne verte comme frontière de la Cisjordanie lors des accords d’Oslo, soit la ligne de démarcation entre les forces arabes et les forces israéliennes qui résultait des accords d’armistice entre Israël et la Syrie, le Liban, la Transjordanie et l’Égypte après la guerre de 1948 ; il s’agissait des frontières de 1967 avant la guerre des Six Jours. Ensuite, la discorde a porté sur le statut de Jérusalem et de l’esplanade des mosquées ou du mont du Temple ; accepter la souveraineté des Palestiniens sur le lieu saint revenait à priver les Juifs de l’accès au mur des lamentations et au mont du Temple. Enfin, les parties ne pouvaient s’entendre sur le droit au retour des réfugiés palestiniens que les Israéliens excluaient pour des raisons démographiques.
Il est vrai que cette période qui aurait dû être consacrée à la diplomatie a été troublée par diverses crises.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 1996 : L’opération les raisins de la colère
Le 10 avril 1996, en réponse à des tirs de roquettes dirigées contre les villes du nord d’Israël par le Hezbollah depuis le Sud-Liban, le gouvernement de Shimon Peres demande à l’armée israélienne de lancer une vaste opération de bombardements aériens et maritimes contre le Hezbollah. L’objectif était de faire pression sur les gouvernements syrien et libanais pour qu’ils luttent effectivement contre les actions du Hezbollah. Les tirs atteignent un camp de l’ONU dans lequel s’étaient réfugiés des civils et en particulier des enfants. La médiation de la France, par l’intermédiaire du ministre des Affaires étrangères M. Hervé de Charrette, aboutit à un cessez-le-feu quinze jours plus tard au terme d’une navette incessante entre Beyrouth, Tel Aviv, Damas et Le Caire.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 2000-2005 : La seconde Intifada – Initiative de paix arabe – La feuille de route du Quatuor
Le 28 septembre 2000, au lendemain d’un dîner entre Yasser Arafat et le Premier ministre Ehoud Barak quelques semaines après l’échec des pourparlers à Camp David, Ariel Sharon parlementaire de l’opposition, dirigeant du Likoud, visite l’esplanade des mosquées mont du Temple Haram el-Charif).
Cette visite est considérée comme une provocation par les Palestiniens alors qu’Arafat avait demandé vainement son annulation au Premier ministre. Il est vraisemblable que l’échec du sommet de Camp David a amplifié l’insurrection dont il y a lieu de penser qu’elle avait été préparée par l’OLP. Les considérations de politique intérieure et les conséquences de l’impasse diplomatique se sont combinées. Aux manifestations palestiniennes réprimées sévèrement succèdent les violences et les attentats. Des soldats israéliens sont lynchés, les attentats suicides visant les civils et des lieux publics se multiplient pendant l’année 2001. Le gouvernement invoque ces événements pour justifier la construction d’un mur de séparation ou une clôture de sécurité dont l’ONU demande le démantèlement. La répression est violente. Des bombardements ciblés visent l’Autorité palestinienne et les organisations palestiniennes ou des personnalités et des cas de torture sont dénoncés. Les violences ont aussi opposé les diverses factions palestiniennes entre elles et en particulier le Hamas et le Fatah.
À plusieurs reprises, le Conseil de sécurité, profondément préoccupé par la poursuite des événements tragiques et violents qui ont lieu depuis septembre 2000, en particulier les attaques multiples et l’augmentation du nombre de victimes, souligne la nécessité pour toutes les parties concernées d’assurer la sécurité des civils. En 2002, le Conseil affirme son attachement à la vision de deux États, Israël et la Palestine vivant côte à côte, à l’intérieur de frontières reconnues et sûres (par exemple, résolutions 1397 (2002), 1515 (2003).
La même année, au sommet de Beyrouth, la Ligue des États arabes adopte l’Initiative de paix arabe, proposée par le Roi Abdallah ben Abdelaziz Al Saoud et confirmée au sommet de la Ligue arabe de 2007 à Riyad. Elle vise à améliorer les relations des pays arabes avec Israël en contrepartie du retrait total d’Israël des territoires occupés et du règlement du sort des réfugiés palestiniens. Cela vise à mettre en œuvre la résolution 242 du Conseil de sécurité et à corriger l’échec du sommet de Camp David.
De leur côté, en 2003, le Quatuor ou quartet (États-Unis, Fédération de Russie, Union européenne et ONU) publie une feuille de route pour la paix en vue d’un règlement sur la base d’une solution à deux États. Le plan fait écho à celui du Roi Abdallah. Il affirme que « le règlement du conflit israélo-palestinien sur la base d’une solution à deux États n’est réalisable que si fin est mise à la violence et au terrorisme lorsque le peuple palestinien aura des dirigeants qui agiront de façon décisive contre le terrorisme et qui seront désireux et capables d’instaurer un régime démocratique fondé sur la tolérance et la liberté, que si Israël est disposé à faire le nécessaire pour qu’un État palestinien démocratique soit établi, et que si les deux parties acceptant clairement l’objectif d’un règlement négocié tel qu’il est décrit » dans le document présenté et qui prévoit un calendrier et des objectifs réalistes (document ONU S/2003/529 du 7 mai 2003).
Dans la foulée, d’éminentes personnalités israéliennes et palestiniennes présentent un accord informel négocié à Genève sous l’impulsion d’Alexis Keller.
En 2005, Israël rappelle ses colons et retire ses forces de Gaza, tout en maintenant le contrôle des frontières, des côtes et de l’espace aérien gazaouites. À la suite de l’élection législative palestinienne de 2006, le Quatuor subordonne la fourniture d’une assistance à l’Autorité palestinienne à l’engagement que prendrait celle-ci de s’abstenir de toute violence, de reconnaître Israël et d’accepter les accords antérieurs.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 2004 : L’affaire du mur construit par Israël
L’Assemblée générale des Nations Unies, le 8 décembre 2003, a sollicité l’avis de la Cour internationale de justice, sur les conséquences de l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, construisait sur le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, compte tenu des règles et des principes du droit international, notamment la quatrième convention de Genève de 1949, et les résolutions consacrées à la question par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale.
Par son avis émis le 9 juillet 2004, la Cour a rappelé les principes de l’interdiction de la menace et de l’emploi de la force et de l’illicéité de toute acquisition de territoire par ces moyens. Elle a également cité le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Elle s’est référée au droit international humanitaire (conventions de La Haye et de Genève), applicable dans les territoires palestiniens s’étant trouvés, avant le conflit armé de 1967, à l’est de la ligne de démarcation de l’armistice de 1949 (ou « Ligne verte ») et qui avaient été occupés par Israël. La Cour a enfin relevé que des instruments relatifs aux droits de l’homme s’appliquaient dans le territoire palestinien occupé.
Faisant observer que le tracé du mur incorporait environ 80 % des colons installés dans le territoire palestinien occupé, la Cour a rappelé, comme le Conseil de sécurité l’avait fait, que ces colonies avaient été installées en méconnaissance du droit international. Ayant fait état de certaines craintes exprimées devant elle que le tracé du mur préjugeât la frontière future entre Israël et la Palestine, la Cour a estimé que la construction du mur et le régime qui lui était associé créaient sur le terrain un « fait accompli » qui aurait pu devenir permanent et, de ce fait, équivaloir à une annexion de facto. La Cour a relevé par ailleurs que le tracé choisi consacrait sur le terrain les mesures illégales prises par Israël concernant Jérusalem et les colonies de peuplement et avait conduit à de nouvelles modifications dans la composition démographique du territoire palestinien occupé. La Cour a conclu que la construction du mur dressait un obstacle grave à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination et violait de ce fait l’obligation incombant à Israël de respecter ce droit.
La Cour a aussi apprécié les effets de la construction du mur sur la vie quotidienne des habitants du territoire palestinien occupé. Elle a considéré que la construction du mur et le régime qui lui était associé étaient contraires aux dispositions pertinentes du droit humanitaire, de même qu’ils entravaient la liberté de circulation des habitants du territoire et l’exercice par les intéressés de leurs droits au travail, à la santé, à l’éducation et à un niveau de vie suffisant tels que proclamés par les pactes internationaux. La Cour a encore constaté que la construction du mur, combinée à l’établissement de colonies de peuplement, et le régime qui lui était associé tendaient à modifier la composition démographique du territoire palestinien occupé et étaient de ce fait contraires à la quatrième convention de Genève et aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité. Elle n’a pas accepté que soient invoquées les dérogations ou les limitations contenues dans certains instruments du droit humanitaire et des droits de l’homme, lorsque des impératifs militaires ou des nécessités de sécurité nationale ou d’ordre public l’exigent. La Cour n’a pas été convaincue que la poursuite des objectifs de sécurité avancés par Israël nécessitait l’adoption du tracé choisi pour le mur, concluant à la violation par Israël, du fait de la construction de ce dernier, de certaines de ses obligations en vertu du droit humanitaire et des droits de l’homme. La Cour a enfin estimé qu’Israël ne pouvait se prévaloir du droit de légitime défense et de l’état de nécessité, comme excluant l’illicéité de la construction du mur. En conséquence, elle a conclu que la construction du mur ainsi que le régime qui lui était associé étaient contraires au droit international.
La Cour a jugé qu’Israël devait, avec effet immédiat, mettre un terme à la violation de ses obligations internationales en cessant, d’une part, les travaux d’édification du mur, en procédant, d’autre part, au démantèlement des portions de l’ouvrage situées dans le territoire palestinien occupé et en abrogeant l’ensemble des actes législatifs et réglementaires adoptés en vue de l’édification du mur et la mise en place du régime qui lui était associé. La Cour a souligné enfin l’obligation d’Israël de réparer tous les dommages causés à toutes les personnes physiques ou morales affectées par la construction du mur.
Concernant les conséquences juridiques pour les autres États, la Cour a indiqué que tous les États étaient dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du mur, de même qu’ils ne devaient prêter aucune aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction. Il appartient, en effet, à chacun d’entre eux de veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin aux entraves, résultant de la construction du mur, à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination. Les États ont l’obligation de faire respecter par Israël le droit international humanitaire.
Concernant l’ONU, et spécialement l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, la Cour a enfin estimé qu’ils devaient tenir compte de l’avis consultatif ainsi émis en examinant quelles nouvelles mesures devaient être prises afin de mettre un terme à la situation illicite en question.
Plus généralement, la Cour a rappelé, d’une part, l’obligation pour Israël et la Palestine de respecter le droit international humanitaire et la nécessaire mise en œuvre de bonne foi de toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et, d’autre part, elle a attiré l’attention de l’Assemblée générale sur la nécessité d’encourager les efforts en vue d’aboutir à une solution négociée, sur la base du droit international, des problèmes pendants et à la constitution d’un État palestinien.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 2006 : La guerre libanaise
En Israël, la guerre de 2006 contre le Hezbollah au Liban, guerre de 33 jours, est considérée comme coûteuse et ratée surtout au regard des engagements précédents. Elle est déclenchée par Israël à la suite de tirs de roquettes puis de l’envoi sur le territoire israélien d’un commando du Hezbollah qui tue huit soldats et en enlève deux autres dans le dessein de les échanger contre des prisonniers. Or le Hezbollah est représenté au sein du gouvernement libanais par plusieurs ministres. La riposte est immédiate. Le Premier ministre Ehud Olmert fixe comme objectifs la libération sans condition des soldats enlevés et l’anéantissement de la capacité militaire du Hezbollah. Il en résulte une campagne de bombardements aériens intensifs des infrastructures libanaises plus ou moins bien appréciées et de tirs d’artillerie sur les bunkers. Les moyens employés n’étaient manifestement pas à la mesure des buts de guerre. Les conséquences sont désastreuses pour le Liban en raison du nombre de morts civils y compris des enfants (un millier), du nombre de réfugiés, de la destruction des principales infrastructures du pays y compris de quartiers résidentiels et de l’aéroport de Beyrouth, d’une marée noire en Méditerranée et de la destruction de villages dans le sud du pays. Des convois de personnes déplacées, des ambulances de la Croix Rouge sont atteints. Il en résulta aussi de nombreux dégâts en Israël et la fuite de plusieurs centaines de milliers d’habitants du nord en raison des tirs de missiles du Hezbollah.
La guerre a révélé une certaine incompétence du gouvernement israélien, la défaillance du renseignement et la déliquescence de la classe dirigeante d’Israël. Paradoxalement, malgré le bilan militaire déplorable et la contribution d’Israël à l’effondrement du Liban, les États arabes sunnites – ouvertement dès le 12 juillet l’Égypte, la Jordanie et l’Arabie saoudite – soutiennent Israël contre « l’aventurisme » du Hezbollah et par conséquent contre l’expansionnisme perse et chiite au Proche Orient et vers la Méditerranée. Il faut plusieurs semaines pour que la Ligue arabe réagisse le 7 août par un appel laconique au cessez-le-feu. L’ONU ne s’est pas manifestée pour condamner l’attaque de l’État hébreu. Réuni le lendemain du massacre de Cana perpétré, le 30 juillet, par le bombardement d’un village libanais par un avion israélien qui a causé l’effondrement d’un bâtiment tuant des dizaines de civils dont une vingtaine d’enfants, le Conseil de sécurité n’a pas réagi, sauf par une déclaration de condoléances de son Président. Il faut attendre le 11août pour que le Conseil décide, par une importante résolution 1701 (2006), le redéploiement des forces libanaises et de la FINUL sur tout le Sud Liban et le retrait de Tsahal. Cela implique le remplacement du Hezbollah le long de la Ligne bleue et la reprise du contrôle de la zone frontalière par le Liban. Les Casques bleus ont retrouvé leur contrôle de la zone et reçus des renforts essentiellement européens. Ces mesures sont de nature à restaurer l’autorité du Liban mais aussi à rassurer Israël, satisfait de voir les fantassins libanais remplacer les forces du Hezbollah dans la zone située entre la frontière et le fleuve Litani.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 2008-2009 : La guerre de Gaza
En 2006, le Hamas gagne les élections législatives à Gaza, la précédente élection ayant eu lieu en 1996. Sur les 132 sièges du Conseil national palestinien, il en obtient 74 contre 45 au Fatah, et 3 au FPLP. Jusqu’alors le Fatah, mouvement des Présidents Yasser Arafat puis Mahmoud Abbas, dominait l’assemblée. Au regard des résultats, Ce dernier nomme Ismaël Haniyeh chef du gouvernement. Des tensions entre les deux factions parlementaires se font jour notamment à la suite de la rupture des subventions internationales imputées à la victoire du Hamas. Le Président Mahmoud Abbas menace de provoquer de nouvelles élections législatives mais cette décision est repoussée par le Hamas. Les deux partis finissent par conclure un accord de gouvernement d’union nationale en février 2007 à l’initiative du Roi Abdallah d’Arabie saoudite. Malgré cet accord les tensions s’exacerbent, elles débouchent sur des affrontements qui donnent lieu à des combats de guerre civile à Gaza dont le Hamas s’empare par la force. Le 17 juin 2007, le Président de l’autorité palestinienne limoge le Premier ministre et le remplace par un gouvernement minoritaire qui siège à Ramallah, contrôle la Cisjordanie mais n’est pas reconnu par le Hamas. De fait le territoire palestinien est scindé en deux entités, le Hamas contrôlant les deux cinquièmes des Palestiniens.
En 2008, une trêve est décrétée pour six mois entre le Hamas et Israël. Les incursions se multiplient de part et d’autre, et alors que les frappes aériennes et les tirs de roquette s’intensifient, en décembre 2008, Israël conduit l’opération Plomb durci qui consiste en des raids et des bombardements aériens suivis par une offensive terrestre en janvier 2009. Le Conseil de sécurité appelle à un cessez-le-feu par sa résolution 1860 (2009) et le conseil des droits de l’homme des Nations Unies enquête sur les violations du droit international humanitaire pendant le conflit à Gaza. Le rapport Goldstone accuse l’armée israélienne et les militants palestiniens d’avoir commis des « actes assimilables à des crimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances, à des crimes contre l’humanité ». Il évoque de graves manquements commis par les forces de défense d’Israël (comprenant des consignes discriminatoires de tir, des saccages, l’utilisation d’armes interdites, des graffitis racistes) et condamne l’usage de la violence contre des civils israéliens par les groupes armés palestiniens (les armes choisies par ceux-ci ne seraient pas assez précises pour faire une distinction). La position de l’État d’Israël est que, lors de l’opération Plomb durci, l’armée n’a pas « tué intentionnellement des civils » et qu’Israël n’a fait qu’exercer « son droit d’auto-défense » face à des « attaques terroristes ». Ce rapport discuté a été retiré.
Les opérations conduites de part et d’autre illustrent une situation de guerre asymétrique entre une armée régulière et des tactiques de tirs frontaliers de snipers, des attaques de roquettes et des attentats suicides.
En 2009, l’Autorité palestinienne présente un programme d’édification de l’État qui recueille un large soutien international. Un nouveau cycle de négociations ouvert en 2010 s’interrompt à l’expiration du moratoire sur les activités de peuplement israéliennes.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 2011-2012 : Admission de la Palestine à l’ONU comme observateur
Le 29 septembre 2011, le Président palestinien, Mahmoud Abbas, présente la demande d’admission de l’Etat de Palestine à l’Organisation des Nations Unies. La même année, la Palestine est admise comme membre de l’UNESCO.
Le Conseil de sécurité a soumis la demande au comité d’admission de nouveaux membres. La lettre du Président palestinien explique que la demande d’admission de la Palestine est présentée « sur la base des droits naturels, juridiques et historiques du peuple palestinien » et de la résolution 181 (II) de l’Assemblée générale, ainsi que de la Déclaration d’indépendance de l’État de Palestine du 15 novembre 1988, reconnue par l’Assemblée dans sa résolution 43/177 du 15 décembre 1988. « À ce propos », indique la lettre, « l’État de Palestine s’affirme résolu à parvenir à un règlement juste, durable et global du conflit israélo-palestinien fondé sur la vision de deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité ».
Dans une seconde lettre, M. Abbas indique que les autorités palestiniennes sont résolues à reprendre les négociations sur les questions relatives au statut final « sur la base du mandat approuvé par la communauté internationale, y compris les résolutions pertinentes de l’ONU, les principes de Madrid, y compris le principe de l’échange de territoires contre la paix, l’Initiative de paix arabe et la Feuille de route du Quatuor, qui exige expressément un gel de toutes les activités d’implantation de colonies israéliennes ». Des pourparlers exploratoires israélo-palestiniens sont organisés au début de 2012, à Amman.
Le 29 novembre 2012, l’État de Palestine se voit accorder le statut d’État non-membre observateur auprès de l’Organisation des Nations Unies. L’Assemblée générale proclame 2014 Année internationale de la solidarité avec le peuple palestinien. Le nouveau cycle de négociations entamé en 2013 est suspendu en avril 2014 à l’initiative d’Israël, après l’annonce de la nomination d’un gouvernement de consensus national palestinien.
À cet égard, il y a lieu de rappeler que 138 États reconnaissent la Palestine comme État. Tout d’abord, dès la proclamation de l’État de Palestine en 1988, les pays de la Ligue arabe, des États africains et asiatiques et des États d’Europe centrale et orientale ont reconnu la Palestine. Ensuite des États d’Amérique centrale, s’émancipant de l’influence des Etats-Unis, se sont ralliés à cette politique de reconnaissance. Enfin progressivement, des États occidentaux ont reconnu la Palestine tels l’Islande en 2011et la Suède en 2014 ainsi que le Vatican en 2015.La Chambre des Communes au Royaume-Uni et l’Assemblée Nationale en France ont voté des résolutions tendant à cette reconnaissance mais celle-là n’a pas encore été accordée par les gouvernements de ces deux États.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 2017-2023 : Jérusalem capitale d’Israël – Saisine de la Cour internationale de justice – Accords d’Abraham
Outre les violences qui marquent la région, des développements politiques, diplomatiques et judiciaires marquent une nouvelle étape dans l’histoire de la Palestine et d’Israël.
En 2017, l’administration américaine, Donald Trump étant Président, a annoncé la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, et par la suite, l’ambassade des États-Unis et certaines autres ambassades ont été transférées à Jérusalem. Cette annonce était de nature à indisposer les Palestiniens.
Le 28 septembre 2018. L’État de Palestine a introduit ce jour une instance contre les États-Unis d’Amérique devant la Cour internationale de justice.
Au terme de sa requête, la Palestine « prie la Cour de dire que le transfert, dans la Ville sainte de Jérusalem, de l’ambassade des États-Unis en Israël constitue une violation de la convention de Vienne ». Il prie également la Cour de « prescrire aux États-Unis d’Amérique de retirer la mission diplomatique de la Ville sainte de Jérusalem et de se conformer aux obligations internationales qui découlent de la convention de Vienne ». Enfin, le demandeur « prie la Cour de prescrire aux États-Unis d’Amérique de prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer à leurs obligations, de s’abstenir de prendre quelque nouvelle mesure qui constituerait une violation de ces obligations et de fournir des assurances et garanties de non-répétition de leur comportement illicite ».
Par une résolution du 22 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a saisi la Cour internationale de justice d’une demande d’avis consultatif aux termes larges transmise à la Cour le 17 janvier 2023.
Compte tenu des règles et principes du droit international, dont la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’homme et les siennes propres, et l’avis consultatif donné par la Cour le 9 juillet 2004, l’Assemblée générale demande :
« Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongée du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la Ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
En 2020, les États-Unis ont négocié des accords, dits accords d’Abraham, pour normaliser les relations entre Israël et les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc. Il est possible que cette série d’accords aient indisposé certaines puissances de la région et exacerbé l’hostilité des Palestiniens radicaux à l’égard d’Israël et plus généralement du peuple juif. L’année 2023 a vu une nouvelle série de combats entre Israël et le Hamas.
Le 15 mai 2023, à la suite d’une demande de l’Assemblée générale, l’ONU a commémoré pour la première fois le 75e anniversaire de la Nakba. Le souvenir de l’exode de la population palestinienne arabe pendant la guerre israélo-arabe demeure vif dans la mémoire collective. Susceptible de nourrir le ressentiment il peut, au regard des échecs répétés de négociations infinies et du désespoir, déclencher la violence. À cet égard, l’humiliation ressentie par les Palestiniens risque d’engendrer un sentiment de revanche obsédant analogue à celui ressenti par les Allemands après la défaite de 1918. Dans ces conditions le cycle de la violence est un éternel retour.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique
– 2014 à 2023 : La poursuite de la guerre de Gaza
Le 2 juin 2014, le Fatah au pouvoir en Cisjordanie et le Hamas qui contrôle la bande de Gaza forment un gouvernement palestinien d’union nationale. Leur réconciliation est saluée par les Etats-Unis mais elle est condamnée par Israël.
En juillet et août, une guerre de même nature que celle de 2008 oppose Israël aux forces palestiniennes dont le Hamas et le Jihad islamique. Elle a été déclenchée par le meurtre de trois adolescents israéliens suivi par l’arrestation de 400 palestiniens en Cisjordanie pour la plupart membres du Hamas. Les frappes aériennes d’Israël suivies d’une offensive terrestre ont pour objectif de mettre fin aux tirs de roquettes depuis Gaza. D’un côté les Palestiniens veulent faire lever le blocus de la bande de Gaza, de l’autre Israël veut démanteler les infrastructures militaires du Hamas et notamment le réseau de tunnels, les sites de lancement de roquettes et les unités de fabrication d’armes.
A l’initiative de l’Égypte, une trêve de 72 heures doit donner lieu à des négociations au Caire visant à mettre fin à quatre semaines de combats meurtriers dans la bande de Gaza. Malgré des ruptures répétées, le cessez-le-feu semble tenir. Après de nombreuses trêves avortées, c’est un succès diplomatique pour l’’Égypte. Traditionnellement considérée comme le négociateur idéal entre Israël et Gaza, l’Égypte était cependant soupçonnée de faire le minimum pour stopper l’offensive israélienne sur l’enclave palestinienne.
Le nouveau régime du Président Sissi, en effet, considère le Hamas comme un allié de la confrérie des Frères musulmans. Le mouvement islamiste a été mis hors la loi par un tribunal égyptien le 4 mars 2014. De plus, du côté de Gaza un blocus strict a été instauré et les nouvelles autorités ouvrent le passage de Rafah avec parcimonie. Elles déclarent avoir détruit 1600 tunnels clandestins utilisés pour le trafic d’armes, mais aussi nécessaires à l’approvisionnement de l’enclave palestinienne.
Les attaques du Hamas du 7 octobre 2023 font écho de façon sinistre aux précédents épisodes de la guerre de Gaza qui perdure au gré des crises.
Le 10 mai 2021, le Hamas avait déjà lancé les hostilités en tirant des salves de roquettes en « solidarité » avec les centaines de Palestiniens blessés lors d’affrontements avec la police israélienne sur l’esplanade des Mosquées de Jérusalem, troisième lieu saint de l’islam. Dans la foulée, Israël avait lancé l’opération « Gardien des murs » visant à « réduire » les capacités militaires du Hamas en multipliant les frappes aériennes.
Après d’intenses tractations diplomatiques, un cessez-le-feu est entré en vigueur le 21 mai. En onze jours, le Hamas et le Jihad islamique, mouvements palestiniens qualifiés de « terroriste » par Israël, l’Union européenne et les États-Unis, ont lancé plus de 4.300 roquettes, des tirs d’une intensité inégalée contre Israël. 90% des projectiles ont été interceptés par son bouclier antimissile. Les affrontements ont fait au moins 232 morts côté palestinien, dont 65 enfants, et 12 morts en Israël, dont un enfant de six ans et une adolescente de 16 ans.
Le 9 mai 2023, quelques jours après des échanges de tirs avec le Jihad islamique, Israël a lancé des raids aériens sur la bande de Gaza (opération « Bouclier et flèche ») qui tuent 15 Palestiniens dont trois commandants militaires du mouvement. Le Jihad islamique réplique avec plusieurs centaines de roquettes, qui ne font aucun blessé en Israël.
Le 11 et le 12 mai, Israël élimine coup sur coup deux chefs militaires du mouvement palestinien. Une trêve négociée par l’Égypte entre en vigueur le 13 mai après cinq jours d’une guerre qui a fait 35 morts.
La tension en Israël et dans les territoires occupés a été évoquée devant le Conseil de sécurité par le coordonnateur spécial pour le Proche Orient en mars 2023.
Il a dépeint une situation alarmante sur le terrain alors que débutait le mois de ramadan et qu’approchaient les célébrations de la Pâque juive. Déplorant une intensification de la violence de part et d’autre, sur fond de poursuite par Israël de ses activités de colonisation, M. Tor Wennesland a rappelé que la résolution 2334 (2016) enjoint à Israël de « cesser immédiatement et complètement toutes activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ». Or, ces activités se sont poursuivies. Le Coordonnateur spécial a notamment cité l’annonce par Israël de la création ou de la légalisation d’avant-postes dans les territoires occupés et celle de nouveaux projets pour plus de 7 200 logements dans les colonies, y compris très en profondeur. Il a également fait état de nouvelles démolitions et saisies de structures palestiniennes dans toute la Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est.
M. Wennesland a détaillé l’augmentation de la violence quotidienne, illustrée par la mort, entre le 8 décembre 2022 et le 13 mars 2023, de 82 Palestiniens victimes du fait des forces de sécurité israéliennes, auxquels s’ajoutent près de 2 700 blessés, ainsi que du décès de 4 Palestiniens dans des attaques de colons, tandis que 13 civils israéliens et 1 ressortissante étrangère ont été tués par des Palestiniens.
Aux incidents mortels survenus à Naplouse, Jérusalem-Est, Tel Aviv, Salfit et Houara, se sont ajoutées les déclarations incendiaires des différentes parties au conflit. Alors le coordonnateur des Nations Unies a conclu avec sagesse que « rien ne peut remplacer un processus politique légitime qui résoudra les problèmes fondamentaux à l’origine du conflit ».
Avec un certain pessimisme, Raymond Aron observait « Le conflit, qui durera aussi longtemps que l’État d’Israël ne sera pas reconnu par ses voisins, est provisoirement latent … Même militairement supérieur, Israël ne peut pas résoudre par la force le problème de son existence. En revanche, le jour où ses voisins lui seraient supérieurs, ceux-ci auraient peut-être l’occasion de créer un fait accompli. »
Jean-Yves de Cara
Professeur émérite des Facultés de droit, Université Sorbonne Paris Cité Avocat au barreau de Paris
Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique