Le 21 novembre était annoncé un accord entre le Hamas et l’État d’Israël, désigné diversement comme une trêve, un cessez-le-feu ou même une pause humanitaire. Sur le fond, cela ouvrait une période de quatre jours durant laquelle le premier entendait libérer cinquante otages en échange de 150 prisonniers détenus par le second. Une « prolongation » de l’accord était envisagée, selon le ministère des affaires étrangères du Qatar qui a contribué, avec l’Égypte et les États-Unis à la médiation qui l’a permis. La trêve n’est pas prolongée et les hostilités ont repris de part et d’autre avec des tirs de roquettes depuis Gaza et le Liban sur Israël et des frappes aériennes de ce dernier sur Gaza. L’équipe du Mossad envoyée au Qatar pour négocier une nouvelle trêve a été rappelée le 2 décembre ; le chef du bureau politique du Hamas, Saleh Al-Harouri, a déclaré que son groupe refuserait la libération d’autres otages sans un « cessez-le-feu global » et la libération de tous les prisonniers.
Selon le commandement de Tsahal, armée israélienne, son pays « est toujours en guerre contre le Hamas », malgré l’accord de libération des otages, mais il entendait marquer une « pause » humanitaire, formule reprise par le Qatar. Le Hamas évoquait une « trêve humanitaire », tandis que la Chine et la Jordanie l’ont considérée comme un cessez-le-feu. Mais à aucun moment le terme armistice n’a été employé.
La diversité des mots employés reflète certes l’incertitude de la situation ainsi créée mais elle dénote aussi la référence fantaisiste ou calculée à des notions dont un emploi plus précis serait souhaitable.
Le terme « pause » ne trouve pas sa place dans le vocabulaire du droit humanitaire tel qu’il résulte du droit de La Haye et de Genève. C’est une facilité de langage diplomatique qui décèle l’incertitude sur la suite de la suspension temporaire des hostilités entre les parties.
En revanche, pour le CICR, « une trêve humanitaire est une suspension temporaire des hostilités, convenue entre les parties au conflit à des fins purement humanitaires. Elle est généralement limitée dans le temps et l’espace ». Les expressions « trêve humanitaire » et «couloirs humanitaires » n’apparaissent pas en effet dans les règlements de La Haye ni les conventions de Genève mais elles relèvent du vocabulaire de la pratique internationale des conflits armés et sont employées de façon coutumière dans le droit international humanitaire. Les règles de ce droit encadrent les tractations relatives aux trêves ou aux couloirs humanitaires.
Le terme « trêve » recoupe ceux de cessez-le-feu ou d’armistice ou de suspension des hostilités, toutefois dans la pratique il remonte à la « trêve de Dieu » qui dès le Xe siècle visait, pour l’Église catholique et romaine, à suspendre les activités guerrières du mercredi au lundi pendant certaines périodes de l’année. Dans le droit moderne codifié à La Haye en 1907, il vise la situation dans laquelle un parlementaire autorisé par l’un des belligérants cherche à entrer en pourparlers avec un autre belligérant en se présentant avec le drapeau blanc (règlement concernant les lois et coutumes de la guerre, article 32).
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique –
Désormais, les trêves interviennent à la demande d’une des parties ou d’une puissance, parfois extérieure au conflit, ou du CICR à des fins humanitaires. Dans la période récente, de telles trêves sont intervenues en Bosnie, au Yémen, en Syrie, en Tchétchénie, au Congo, en République Centrafricaine, en Afghanistan … et à Gaza même, déjà en 2014 et 2015, le CICR avait obtenu une trêve pour évacuer les malades et les blessés. Encore faut-il relever que l’objet humanitaire est entendu largement. Ainsi en décembre 1999, une trêve de vingt jours avait été instituée par les forces révolutionnaires des FARC en Colombie pour permettre aux colombiens de célébrer la fin de l’année et le nouveau millénaire. En juin 2017, le chef d’état- major de l’armée philippine a décrété une trêve de quelques heures dans l’offensive contre les islamistes qui occupaient la ville de Marawi, la plus grande ville musulmane du pays, pour permettre aux habitants de célébrer l’Aid-al-Fitr qui marquait la fin du jeûne du Ramadan, et par respect pour la foi musulmane. Quelques heures plus tard, dès la fin de la trêve, les tirs ont repris.
Les termes « cessez-le-feu » et « cessation des hostilités » sont souvent utilisés de manière indifférenciée. Les premiers sont généralement plus construits et peuvent comporter des dispositions détaillées sur les objectifs, des échéances, des dispositions de sécurité et des mécanismes de surveillance ou de contrôle. Ce sont les parties intéressées ou des médiateurs qui déterminent le contenu de l’accord qui est souvent formel. Les cessez-le-feu peuvent être préliminaires et par conséquent fragiles, répétés pour tenter de geler le conflit et ouvrir des négociations. Certains peuvent être définitifs et précis, en particulier pour réglementer le désarmement, la démobilisation et la sécurité ou s’inscrire dans le cadre d’un accord de paix tel l’accord entre le gouvernement du Soudan et l’armée populaire de libération du Soudan en 2005. D’autres ont un objectif purement humanitaire (Soudan – Armée populaire et Mouvement pour la justice et l’égalité au Darfour en 2004). Ils peuvent être géographiquement limités (accord négocié par l’ONU en 2018 entre le gouvernement du Yémen et les Houthis sur la ville de Hodeïda et divers ports). Pour permettre certains engagements précis, ils peuvent être temporaires et sont alors proches d’une trêve, multilatéraux, bilatéraux ou unilatéraux, d’une durée déterminée ou indéterminée. Ils s’inscrivent parfois dans un accord plus large, tel l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi du 28 août 2000, entre le gouvernement, l’Assemblée nationale et dix-sept groupes armés qui tente de mettre un terme à la guerre civile commencée en 1993.
Le cessez-le-feu peut être imposé par les puissances ou par une organisation internationale.
Le plus célèbre dans la région est celui ordonné par le Conseil de sécurité par sa résolution 54 du 15 juillet 1948. Considérant que le gouvernement provisoire d’Israël acceptait une prolongation de la trêve en Palestine mais que les États de la Ligue arabe rejetaient les appels du médiateur de l’ONU et du Conseil de sécurité à la prolongation de la trêve, qu’il en résultait une reprise des hostilités, le Conseil de sécurité ordonne de cesser le feu et une suspension d’armes immédiate et inconditionnelle dans la ville de Jérusalem exécutoire dans les vingt-quatre heures ; il prescrit à la commission de la trêve de prendre toutes mesures nécessaires à l’exécution de cet ordre de cessez-le-feu et au Médiateur de poursuivre ses efforts pour la démilitarisation de la ville de Jérusalem, la protection des Lieux Saints ainsi que de surveiller l’observation de la trêve et il l’autorise à trancher les cas de violation par des mesures pertinentes.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique –
Plus proche, par sa résolution 2401 (2018) le Conseil de sécurité exige des parties à la guerre civile en Syrie qu’elles cessent les hostilités sans délai pour instaurer une « pause humanitaire » d’au moins trente jours pour faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire ; il précise que la cessation des hostilités ne s’appliquera pas aux opérations militaires contre les groupes terroristes notamment l’État islamique au Levant (Daech) et Al-Qaida ou les groupes qui leur sont associés.
En revanche, le droit international consacre depuis longtemps la notion d’armistice qui, selon l’article 36 de la convention de La Haye précitée, « suspend les opérations de guerre par un accord mutuel des Parties belligérantes. Si la durée n’en est pas déterminée, les Parties belligérantes peuvent reprendre en tout temps les opérations, pourvu toutefois que l’ennemi soit averti en temps convenu, conformément aux conditions de l’armistice ». Ici encore la pratique varie. L’armistice peut être général et suspendre les opérations de guerre des belligérants ; il peut être local et suspendre les combats entre certaines fractions des forces armées et/ou dans un rayon déterminé. Généralement, l’armistice dénote l’intention des parties de négocier un règlement permanent dans le dessein de revenir à la paix. Toutefois, s’il consiste dans la cessation des hostilités, l’armistice n’est pas la paix, l’état de guerre se poursuit entre les belligérants et dans les relations entre ces derniers et les puissances neutres, notamment pour les activités maritimes. Ainsi la convention d’armistice du 28 janvier 1871 entre la France et l’Allemagne était intitulée « convention pour la suspension des hostilités » et visait en particulier les opérations dans certains départements (Doubs, Jura, Côte d’Or et Belfort), tout en déclarant que le but était de permettre au gouvernement français de convoquer une assemblée parlementaire qui déterminerait si la guerre devait être poursuivie ou à quelles conditions la paix devait être acceptée. La pratique de 1918 confirme la nature de l’armistice qui visait à prendre les mesures pour la restauration de la paix et éviter un « bain de sang » supplémentaire, selon les termes employés par le gouvernement impérial allemand. En revanche, en 1945, à l’accord d’armistice coutumier fut préférée l’exigence d’une « reddition inconditionnelle » exprimée dans l’instrument signé à Reims le 8 mai 1945 par le Haut commandement allemand.
Après la 2e guerre mondiale, la pratique se diversifie davantage, à plus forte raison avec le développement des conflits asymétriques. L’armistice de Panmunjeon du 27 juillet 1953 entre la Corée du nord et la Chine d’une part et l’Organisation des Nations Unies d’autre part, laisse subsister un état de guerre avec la Corée du sud qui ne l’a pas signé et aucun traité de paix n’est intervenu. À cet égard, l’accord illustre la faculté pour les parties à un tel accord de définir des zones tampons ou démilitarisées, désignées comme zones d’exclusion où la présence de soldats ou d’équipements militaires est interdite. Ainsi la zone située sur le 38e parallèle entre la République populaire démocratique de Corée et la République de Corée s’étend sur 250 km de long et 4 km de large. Une telle zone tampon existe aussi au Sahara marocain entre le Maroc et le Front Polisario, consistant en un mur de sable élevé par les Marocains de part et d’autre duquel des zones dans lesquelles des activités militaires sont interdites ou restreintes et en présence d’une force des Nations Unies (MINURSO). De même une Force des Nations Unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP) créée en 1964 surveille les lignes de cessez-le-feu et la zone tampon ; les responsabilités de cette mission ont été élargies par le conseil de sécurité à la suite des événements de 1974.
Les objectifs de tels accords sont très divers. Dans les conflits asymétriques, ces accords de cessez-le-feu masquent des arrangements politiques. Ainsi le 19 mars 1962, la proclamation de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu en Algérie à midi, habillait les abandons inattendus de ses intérêts et de ses citoyens par la France à la faveur des accords d’Evian conclus la veille. Depuis Tunis, Ben Khedda ordonnait « à toutes les troupes de l’A.L.N. d’arrêter les combats », cela n’empêche pas le massacre de plusieurs dizaines de milliers de Harkis, supplétifs de l’armée française par les rebelles ou l’armée de libération nationale, puis de civils français jusqu’aux premiers jours de l’indépendance. En Indonésie, en août 2005, après vingt-six ans de guerre, le gouvernement a signé un accord de cessation des hostilités avec le mouvement Aceh Libre, sous l’égide d’une ONG, le centre Henri Dunant pour le dialogue humanitaire ; il prévoit des mesures propres aux opérations armées mais aussi des mesures politiques en vue de l’autonomie de la province.
Pour la plupart ces accords de suspension ou de cessation des hostilités visent des fins humanitaires qui vont du dépôt des armes à des secours immédiats, échanges de prisonniers, retour des personnes déplacées ou des réfugiés, ébauche de négociations jusqu’à la reconstruction du pays… Certains conflits restent gelés, comme en Ossétie, en Abkhazie, au Népal. Dans ce dernier État, le gouvernement a signé des accords de cessez-le-feu avec huit groupes rebelles entre 2008 et 2010 mais aucun n’a été intitulé comme tel. Au Nagorno- Kharabakh, à la suite de l’opération de l’Azerbaïdjan en septembre 2023, un accord de cessez- le-feu complet a été conclu par la médiation du commandement russe de la force de maintien de la paix présente dans la région depuis 2020 et alors qu’un premier accord de cessez-le-feu du 10 novembre 2020 avait été signé, mais des violations de l’accord sont régulièrement relevées.
Il apparaît ainsi que l’opportunité politique domine la pratique. Les termes trêve, cessez-le- feu, armistice sont largement interchangeables bien que leur sens soit différent mais ils visent tous au minimum à la suspension plus ou moins durable des hostilités et suscitent incontestablement l’espoir d’accéder à la paix.
Jean-Yves de Cara – Institut Méditerranéen de Droit et de Géopolitique