On a oublié un peu vite ou minoré, dans les dernières années, l’importance pour le monde arabo-musulman de la question palestinienne. Sans doute parce que la diplomatie d’Israël, soutenue par les États-Unis, qui ne sont jamais très loin, a été très offensive et agile pour nouer des relations, ou renforcer celles existantes, avec nombre de pays du Proche et Moyen-Orient, en espérant que cela les « neutraliserait » en quelque sorte. Ce qui relevait sans doute d’une certaine audace et, partant, d’une erreur d’analyse, dans la mesure où ce n’est pas parce qu’un État entretient des liens avec un autre – ce qui est le propre des relations internationales – que cela signifie qu’il oublie ce qu’il est, quels sont ses devoirs par ailleurs et quelles sont ses alliances.
Sans doute aussi par la faiblesse des dirigeants palestiniens qui ont par trop négligé la défense de leurs intérêts. Enfin, parce que beaucoup, naïfs, ou voulant être optimistes, ont cru que l’absence de troubles apparents voulait dire que tout était en voie de règlement.
Tout cela n’était qu’illusion car la réalité sur le terrain était différente. L’État d’Israël a continué de s’étendre sur les territoires qu’il occupait, grignotant peu à peu l’espace naturel du peuple de Palestine. Et cela sans véritables réactions de la « communauté internationale » et avec le soutien des États-Unis.
Faute d’un véritable dirigeant, depuis la disparition de Yasser Arafat, l’autorité palestinienne n’a pas su ou pu s’opposer ou mobiliser suffisamment les opinions publiques internationales, ainsi que les gouvernements qui auraient pu la soutenir.
De sorte que le conflit – toujours existant – s’invisibilisait.
Mais les peuples ont de la mémoire et sont ancrés, eux, dans la réalité. Ce n’est pas parce que certains – préoccupés plus par l’idéologie du genre et de la repentance – veulent nous faire appréhender le monde tel qu’ils le rêvent, et ont ainsi décrété que l’essentiel était ailleurs, que c’est bien le cas.
La réalité est toujours celle d’une sensibilité forte, et même souvent exacerbée, du monde arabo-musulman, à ce qu’il faut bien qualifier d’injustice, à savoir la négation pour le peuple palestinien du droit de disposer d’un État dans des frontières sûres, celles d’avant 1967, de la même façon qu’Israël bénéficie du même droit. C’est d’ailleurs ainsi que de nombreuses résolutions de l’ONU l’ont précisé.
Cette différence de traitement ne pouvait manquer de heurter tous ceux qui se soucient de justice et d’égalité dans les relations internationales, qui sont certes marquées par les rapports de force, mais ne sont pas pour autant soustraites à la morale commune dans une certaine mesure.
Face à cet état indiscutable, il ne fallait pas être grand clerc pour envisager que cette situation de faux calme ne pût perdurer.
C’est précisément ce qui est arrivé avec les tensions graves que l’on connaît dans la bande de Gaza et en Israël, avec les violences et atrocités qui ont été largement décrites par ailleurs. Hélas, et contrairement à ce que veulent tenter de nous faire oublier les tenants d’un monde idéal et…irréel, les guerres tuent, elles tuent aussi des civils, de part et d’autre, et tous les morts sont de trop.
Pour autant, il ne faut en aucun cas confondre les causes avec les conséquences.
Il reste un problème à la source de tout, c’est celui du droit du peuple palestinien à un État, à l’instar du peuple d’Israël. Tant que cette question n’aura pas été réglée, la paix sera menacée, avec les risques d’escalade et d’une propagation du conflit vers les États voisins.
Il ne faut pas négliger le fait que cette « question palestinienne » fédère en quelque sorte le monde arabo-musulman, et a nécessairement des incidences qui s’étendent au-delà de la Palestine et d’Israël.
Les risques d’embrasement général sont intenses, tant certains en prenant parti pour l’un ou pour l’autre risquent de générer un effet de cascade peu propice au maintien de la paix.
Dans un contexte global où les cartes sont rebattues dans le sens d’un monde plus multipolaire, il ne faut pas négliger le fait que tout cela s’inscrit dans les jeux bien normaux des puissances existantes et émergentes, à savoir les États-Unis, bien évidemment, mais également la Chine, et les BRICS qui ont une vision pragmatique de la défense de leurs intérêts et jouent leur partition, comme c’est de règle. Il faut être d’une naïveté déconcertante ou complètement aligné pour rester sur des « grilles de lecture » marquées par les bons sentiments (auxquels personne n’a jamais cru) ou sur une vision du monde qui n’est pas conforme à la réalité. Seuls les États – dans la mesure bien évidemment où ils ont encore une volonté de rester souverains – qui seront conscients du nouvel état des relations internationales resteront des acteurs ayant voix au chapitre, les autres ne seront que des marionnettes. Le choix entre la grandeur ou la soumission appartiendra à chacun.