L’horreur qui a submergé une grande partie de la planète à l’occasion de l’attaque du Hamas sur le territoire d’Israël et contre des civils, y compris des enfants, suscite des commentaires divers parfois approximatifs par les termes choisis. Les rapprochements historiques avec la 2e guerre mondiale semblent déplacés tandis que les précédents adéquats ne sont pas évoqués. A aucun moment le précédent des crimes du FLN en Algérie n’a été évoqué. Pourtant les exactions, les crimes commis dans les kibboutz, les bébés égorgés, les enlèvements, la prise d’otages et les bombardements de sites civils ne sont pas sans rappeler la Toussaint rouge, les attaques contre les fermes, les viols systématiques, les hommes émasculés, les femmes éventrées, les bébés écrasés sur les murs, les bombes, les tortures, les massacres et les disparitions des Français d’Algérie et de harkis ou de supplétifs fidèles à la France. Ici et là, l’effet du politiquement correct se fait sentir.
Sous l’angle juridique, les notions fondamentales du droit international humanitaire sont souvent confondues dans les débats du moment ; ainsi, les termes de terroriste et de combattant ne sont pas assimilables. D’aucuns n’ont pas hésité à désigner les attaquants comme des terroristes-combattants qu’il ne faut pas confondre avec les combattants terroristes étrangers qui se sont illustrés sur d’autres théâtres, d’autres utilisent l’un ou l’autre mot et ceux-là sont encore désignés comme groupes armées ou forces armées du Hamas. Les actes terroristes, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité sont invoqués sans distinction. Il importe de rappeler ici brièvement quelques règles.
Bien que la définition du terrorisme ou de terroriste semble fuyante car elle est chargée de considérations politiques, idéologiques et d’émotion, les Nations Unies, l’Union européenne ou le Conseil de l’Europe ont tenté de formuler des définitions acceptables par tous, mais nul consensus ne s’est dégagé dans l’ordre international.
La Convention internationale du 9 décembre 1999 pour la répression du financement du terrorisme définit un acte terroriste comme « tout acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou par son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque » (art. 2.1 b).
Par sa résolution S/1566(2004), le Conseil de sécurité des Nations Unies confirme et précise que les actes terroristes sont considérés comme « des actes criminels, notamment ceux dirigés contre des civils dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves ou la prise d’otages dans le but de semer la terreur parmi la population, un groupe de personnes ou chez des particuliers, d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire ». Le Conseil de sécurité rappelle que de tels actes « ne sauraient en aucune circonstance être justifiés par des motifs de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou similaire ». L’Assemblée générale des Nations unies a réaffirmé cette définition en janvier 2006 (résolution 60/43), définissant les actes de terrorisme comme des «actes criminels conçus ou calculés pour terroriser l’ensemble d’une population, un groupe de population ou certaines personnes à des fins politiques ».
En Europe, la Convention sur la répression de l’activité terroriste de 1977 ne propose pas de définition du terrorisme, la décision-cadre du Conseil européen du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme adopte une définition de nature descriptive qui énumère comme infractions terroristes des actes intentionnels dont elle donne la liste considérée comme exhaustive. Selon ce texte ces actes, par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale lorsque l’auteur les commet dans le dessein de « gravement intimider une population ou contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, ou gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou une organisation internationale ». En raison de l’ampleur de la définition retenue qui confine à celle d’un acte de guerre, la pratique de l’Union a exclu les activités des forces armées en période de conflit armé et les activités conduites par les forces armées d’un État dans l’exercice de leurs fonctions officielles.
En revanche, les Conventions de Genève (1949) et les protocoles ne donnent aucune définition du terrorisme. Or, certains commentateurs ou politiques ont qualifié d’« actes de guerre » les attaques du Hamas, voire de « crimes de guerre ». Il semble pourtant que l’on doive s’en tenir à la qualification d’actes terroristes. Il est difficile de faire échapper le Hamas lui-même à la désignation de groupe terroriste. Celle-ci a été formalisée juridiquement depuis plusieurs années par l’adoption de listes par l’ONU ou des organisations régionales ou des États ; ces listes constituent un instrument de prévention par les sanctions financières ou les autres mesures qu’elles prévoient mais elles expriment aussi des choix stratégiques de politique étrangère. La pratique des États et des organisations internationales est contrastée. Ainsi, il n’est pas indifférent de constater que le Hamas y compris la branche armée Hamas-Izz al-Din al-Qassem, parmi d’autres entités, se trouve sur les listes adoptées par le Conseil de l’UE (décision PESC2017/54 du 27 janvier 2017) ou par certains États mais non sur d’autres (ONU et divers États). En outre, non seulement l’action du Hamas tombe sous le coup des définitions précitées mais son inscription sur la liste des organisations terroristes a été confirmée par la Cour de justice de l’Union européenne le 26 juillet 2017. Cela implique la reconnaissance de la légitimité de la lutte des États en cause contre les mouvements cités et en l’occurrence de l’État d’Israël contre le Hamas, par ailleurs chargé de l’administration de la bande de Gaza depuis 2007. La qualification du Hamas comme terroriste laisse une large marge de manœuvre aux autorités d’Israël.
Pourtant, le Premier ministre Netanyahou a déclaré que « le Hamas a déclenché une guerre brutale et perverse » et que son pays « est en guerre… même si Israël n’a pas déclenché cette guerre Israël la terminera ». Alors que les parties s’engagent dans un conflit aux conséquences imprévisibles et des opérations difficiles, il y a lieu d’apporter quelques précisions terminologiques d’ordre juridique.
Au premier regard, il semble inapproprié que les auteurs des premières attaques contre Israël et des exactions contre les personnes puissent être considérés comme des combattants au sens du droit humanitaire et le terme « guerre », dont on a pu constater dans d’autres circonstances récentes l’usage abusif par les gouvernants ou les politiciens, pour qualifier les opérations en cours semble aussi impropre ou inopportun.
Toutefois, il en résulte des conséquences juridiques subtiles. S’agissant d’actes terroristes, le droit humanitaire ne semble pas applicable a priori car les forces du Hamas ne peuvent se réclamer du statut de combattant ni, le cas échéant, de celui de prisonnier de guerre. Mais, selon la pratique des États, telle que codifiée par le CICR, en cas de conflit international ou non international le principe de la distinction entre civils et combattants s’impose.
Quel est l’effet de la qualification d’actes terroristes ?
Les conventions de Genève ne visent pas les actes terroristes ; il convient de se reporter au droit coutumier qui interdit les actes qui seraient qualifiés communément de terroristes s’ils étaient commis en temps de paix. Dans ce contexte de conflit asymétrique, le droit humanitaire s’applique tant aux forces armées régulières qu’aux groupes armés non étatiques. Les actes de terrorisme peuvent dépendre d’autres branches du droit, en particulier du droit pénal national.
Par sa résolution S/2462 (2019), le Conseil de sécurité a réaffirmé que « les États doivent faire en sorte que toute mesure prise pour combattre le terrorisme soit conforme à toutes leurs obligations au titre du droit international, en particulier le droit international des droits de l ’homme, le droit international des réfugiés et le droit international humanitaire, soulignant que le respect des droits de l’homme, les libertés fondamentales et l’état de droit sont complémentaires et que leurs effets et ceux de mesures antiterroristes efficaces se renforcent mutuellement et font partie intégrante de toute action antiterroriste efficace, notant qu’il importe de respecter l’état de droit pour prévenir et combattre efficacement le terrorisme, et constatant que le fait de se soustraire à ces obligations internationales ou à d’autres, dont celles résultant de la Charte des Nations Unies, est un des facteurs contribuant à une radicalisation accrue à la violence et favorise un sentiment d’impunité ».
Par conséquent, il ressort de cette résolution, des règles coutumières et de l’esprit du droit humanitaire que, sans qu’il soit nécessaire de les considérer comme des combattants au sens du droit de la guerre, les groupes armés du Hamas ayant commis des actes terroristes doivent bénéficier d’un traitement conforme au droit humanitaire. Cela n’est pas de nature à faciliter la tache des soldats d’Israël dans la mission que leur assigne le gouvernement mais cela illustre les paradoxes du droit international en la matière qui peuvent aboutir en pratique à une certaine incohérence pour les acteurs d’un conflit autant que pour les observateurs.