Quelle analyse doit-on faire de la situation de forte tension créée par l’action du groupe militaire privé Wagner dirigé par Evgueni Prigojine ?

Jusqu’alors, les rodomontades de Prigojine semblaient relever au mieux de manœuvres possiblement concertées avec le pouvoir pour donner l’illusion de désunion afin de tromper l’ennemi. Au pire, comme de simples manifestations de mauvaise humeur de la part d’un jusqu’au-boutiste.
Les derniers événements nous donnent à voir une approche marquée par un degré de pression notablement supérieur. Des actes de rébellion armée, avec des mouvements de troupes de ce qui constitue une armée privée au sein d’un État organisé, sont venus menacer le pouvoir en place sauf à considérer qu’il s’agirait d’une opération menée en réalité de conserve avec lui.

Le Président Poutine a qualifié ces actions de « trahison de la Russie et de son peuple ». Ce sont des mots forts qui ont pour objectif d’affirmer l’autorité de l’État et d’en appeler au soutien de la population, qui semble d’ailleurs être majoritairement présent.

En pleine « opération spéciale » en Ukraine et alors que l’armée russe est engagée en territoire ukrainien, mais également pour assurer la sécurité en Russie, l’attitude de Prigojine est surprenante.

On peut certes concevoir qu’il y ait des divergences de vues sur la conduite générale des opérations, mais est-il admissible de la part d’une milice privée de venir, lorsque le pays est en guerre, semer la désunion  (sauf s’il s’agit d’une stratégie mise en place pour conforter la cohésion nationale)? Chacun apportera la réponse conforme à sa sensibilité.

Quoi qu’il en soit dans tout pays normalement constitué, et à première vue, des tels comportements sont assimilés à une trahison, ce que n’a pas manqué d’affirmer le Président Poutine.

Cela pose la question plus générale de la possibilité que l’on peut laisser à des structures militaires privées de se constituer et de venir concurrencer la puissance publique ou à tout le moins la contester (même si cela n’est pas une nouveauté si on se place dans une perspective historique générale, mais à chaque fois le pouvoir en place a entendu prendre ou reprendre le contrôle de ces entités lorsqu’elles entendait dévier). Il va de soi que le Président Poutine va tirer toutes les leçons de cet épisode, dont il sort néanmoins vainqueur. Il a déjà éloigné Evgueni Prigojine, exilé en Biélorussie, avec l’accord du Président Alexandre Loukachenko, qui est d’ailleurs intervenu intensément pendant la crise au soutien du Président Poutine, selon ce qui a été indiqué.

La situation semble aujourd’hui normalisée ou en cours de normalisation, même si on va assister dans les jours et mois à venir à d’autres actions de consolidation de la part du Président Russe.

Car il est évident que cette action insurrectionnelle (dont l’avenir nous dira la teneur exacte) a bénéficié d’un certain nombre d’appuis au sein de cercles de pouvoir de la société russe, qui n’est pas le bloc soumis à une pensée unique que d’aucuns se plaisent à nous présenter, faisant fi de la réalité de tout corps social. Comme toute société politique, elle est nécessairement traversée par des luttes d’influence dont il faut tenir compte, ce que ne manqueront pas de faire le gouvernement et le Président Poutine.

On ne peut exclure également que des interventions étrangères sont venues apporter un soutien logistique, financier ou d’influence et continueront de le faire, tant c’est le jeu des relations internationales.