Home Editos De quelques principes qui gouvernent les relations internationales par Jean-François Poli

De quelques principes qui gouvernent les relations internationales par Jean-François Poli

68
0

On ne cesse d’entendre à foison ces derniers temps des discours sur le fait que dans le monde il y aurait des méchants contre lesquels il faudrait lutter et des gentils, les seuls qui auraient droit de cité, qu’il faudrait soutenir. Bien évidemment on parle ici d’États et de leurs dirigeants. Bien sûr les dirigeants, méchants, fussent-ils élus avec de larges majorités sont considérés comme illégitimes, par ceux mêmes qui n’ont que le mot démocratie à la bouche. Les tenants de ces théories approximatives voient en réalité leurs cerveaux pris dans un mirage permanent, ils veulent que le monde soit comme ils l’entendent, et critiquent tout ce qui n’est pas ainsi, car, seuls, ils détiennent la vérité, une sorte de vérité révélée.

Ceux-là seront toujours les perdants en fin de compte, car nier la réalité ne permet pas de prendre les bonnes décisions et nous précipite souvent dans le trouble et le chaos. Au prix, néanmoins, souvent, de souffrances et de drames pour les peuples « mal dirigés ».

Que n’ont-ils pas compris ?

On pourrait en effet ajouter ici que la légitimité du gouvernement relève de l’ordre interne. Dans l’ordre international, l’État est avant tout l’entité qui remplit les fonctions de l’État : battre monnaie, représenter l’État, faire la guerre, maintenir l’ordre et exercer la justice. Ce qui importe est “l’effectivité”. Les théories de la légitimité ont toujours eu pour objet d’exercer une certaine domination envers des État étrangers ou exercer un « impérialisme » : la légitimité révolutionnaire (1792) ou la légitimité communiste (justifiant les interventions dans l’Europe orientale : Budapest, Prague, Varsovie etc…), la Sainte Alliance formulée par le Tsar Alexandre 1er en 1815 à laquelle se ralliaient l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse et qui pouvait justifier des interventions contre les États révolutionnaires. Il peut y avoir des conflits de légitimités dans la vie internationale qui opposent des groupes de puissances mais la légitimité du gouvernement n’est pas un critère de l’État dans l’ordre internationalLe trait dominant de la société internationale est l’hétérogénéité : les sociétés nationales sont inégales en développement, en nombre, en géographie, en composition qui peut être unitaire ou très diversifiée. Mais bien sûr il peut y avoir des « communautés partielles d’idées historiques » selon la formule de Raymond Aron, cependant un simple coup d’œil sur la composition de l’ONU enseigne que la société actuelle est loin d’avoir atteint un tel degré d’intégration. Même le principe démocratique parfois évoqué dans des résolutions de l’Assemblée générale n’est pas universellement admis comme un principe contraignant en droit international… et on imagine les conflits auxquels donnerait lieu la tentative de l’appliquer.1

Deux ou trois choses élémentaires.

Tout d’abord que le concept de souveraineté des États est toujours pertinent car il repose sur une réalité des relations internationales. La souveraineté étant, pour faire simple, l’affirmation du droit pour chaque État constitué d’être son propre maître, en principe, ce qui signifie que nul autre (État) n’a le droit de venir lui dicter sa conduite. Bien sûr, et l’on n’est pas naïf, cela ne signifie pas que les rapports de force sont exclus, et que les puissances sont égales. Mais ce qui persiste c’est toujours l’idée d’une puissance originaire et entière. D’elle naissent des obligations pour les autres, des freins à toutes tentatives de mettre en place des suprématies qui atteindraient des niveaux conduisant à nier l’existence même de la souveraineté dont il s’agit, liée à l’égalité des nations.

Les écrits de Francis Fukuyama sur la fin de l’Histoire ont abusé bon nombre d’individus qui ont cru au monde unipolaire, sans limite, dans l’unité et la fraternité. Mais l’homme est un animal politique et les dirigeants des État sont des hommes. Il ne faudrait pas l’oublier

La suite des événements n’a pu que permettre de constater que le réel gagne toujours même si certains mettent du temps à s’en rendre compte, au détriment des intérêts des peuples.

Ainsi nous a-t-on dit, il n’y avait plus d’intérêts nationaux, car il n’y avait plus qu’un seul peuple, le peuple du monde, et d’aucuns se définissaient, comme « citoyens du monde », en en tirant même une certaine gloire car ils croyaient ainsi faire montre d’une grande hauteur de vue, ainsi que d’un humanisme nécessairement « de progrès ».

Mais il ne suffit pas d’être persuadé d’une chose pour qu’elle existe ou qu’elle advienne. Et la suite ledémontrera.

Les frontières, délimitant des territoires avec des intérêts propres, n’ont pas disparu, c’est ainsi, et il convient de s’en pénétrer2. Car ces limites correspondent à des réalités géographiques mais également touchent aux rapports que les hommes qui y séjournent entretiennent avec un territoire donné, lesquels font naître un sentiment d’appartenance singulier, que l’on peut appeler sentiment national, ou autrement, comme on voudra. N’en déplaise à ceux qui considèrent que le simple usage du mot nation fait entrer celui qui l’emploie dans la catégorie des grands dictateurs sanguinaires. Peu importe d’ailleurs, car ce qui prime c’est le réel. … Face à la double menace du supranationalisme et du multiculturalisme, sans compter avec les errements et avec l’échec de la” mondialisation” y compris en matière économique et commerciale.

On voit aujourd’hui que les nations sont toujours vivaces, que partout le sentiment national se réveille et qu’il en a le droit, car il représente une volonté populaire, la seule qui vaille. Au lieu de s’en réjouir pour s’y soumettre, car seul le peuple est souverain, beaucoup poussent des cris d’horreur en soutenant que le « populisme » a gagné. Et cela au nom de « valeurs » qui seraient universelles. Sous l’angle juridique la notion de « valeurs » au sens où elle est employée de nos jours et dans ce contexte n’a aucune signification ni même existence. Mais la seule règle universelle est celle des obligations découlant de l’irréductible singularité de la nature humaine, donnant la liberté de choix pour chaque homme – uni à d’autres dans un ensemble national – de décider de son mode de gouvernement et de la façon dont il entend vivre. Le reste n’est que la mise en place de systèmes où des « élites » connectées de la vraie vie entendent imposer leur point de vue, toujours et partout, la seule unité étant constituée par le plaisir hédoniste dont ils entendent jouir toujours et partout.

Aujourd’hui l’arrivée au pouvoir de Donald Trump comme président des États-Unis d’Amérique a été comme une sorte de révélateur, au sens photographique, d’un état réel du monde. À travers son slogan « make América great again » (que l’on peut traduire par le fait de rendre sa grandeur aux États-Unis d’Amérique), ses intentions sont clairement annoncées, celles du primat de la nation, ce qui n’implique pas évidemment, comme auraient tendance à le croire les sots, que sera abandonnée l’approche internationale, et le maintien si cela sert les intérêts nationaux, d’une forme d’impérialisme.

Malheureusement, nombre de pays d’Europe restent dans le déni de cette réalité, en se focalisant sur une approche sentimentale (habillage bien évidemment), qui ne peut que les exclure encore plus du concert des nations.

Pourtant, on ne peut que constater que les lieux de pouvoir se déplacent vers l’Est et le Sud, les États-Unis conservant la main pour eux-mêmes et entendent toujours conserver leur rôle prépondérant sur le plan international. « Ile continent et République impériale… »3

Il suffit pour s’en persuader d’observer que les premiers pourparlers concernant la sortie de crise en Ukraine ont eu lieu non pas à Paris ou à Genève (la Suisse ayant commis l’erreur de saper ce qui était en quelque sorte son fonds de commerce, à savoir sa neutralité, en s’associant aux sanctions contre la Russie), mais à Ryad, avec un rôle actif de la diplomatie saoudienne. Cela est loin d’être insignifiant, car illustre le fait que les grandes questions ne se débattent plus et ne se règlent plus en Europe, mais ailleurs. Outre la médiation turque…

On ne peut également que constater que des tractations directes entre le président russe et le président américain, ainsi qu’entre leurs équipes – qui ne concernent pas uniquement la question ukrainienne – se poursuivent telles qu’elles ont débuté avant l’investiture de Donald Trump.

Ces liens directs avaient été interrompus, y compris au niveau des représentations diplomatiques respectives avec l’administration Biden. Il convient de ne pas négliger cet état de fait et de mesurer pleinement qu’une nouvelle période s’ouvre. Celle d’un monde de plus en plus multipolaire, avec des puissances qui s’affirment, qui se réunissent sans perdre leur souveraineté (les BRICS, par exemple), avec un déplacement des centres de décisions (on l’a déjà précisé) entraînant un déclassement des États de la vielle Europe qui n’ont pas su prendre la mesure du mouvement.

Il ne sert ainsi à rien de pratiquer l’incantation et de se lamenter en se fondant, comme on l’a déjà évoqué, sur des considérations morales.

En effet, comme l’avait déjà en son temps souligné avec pertinence, le Général de Gaulle, « les États n’ont d’amis, ils n’ont que des intérêts ». C’est la réalité, on peut considérer qu’elle n’est pas satisfaisante pour des raisons qui sont propres à chacun, mais il ne sert à rien de vouloir l’ignorer si l’on veut servir les intérêts de la nation, sauf à rester dans le monde de l’illusion et de la puérilité.

Jean-François Poli

1 Sur ce point on pourra utilement se référer à Henry Kissinger : Le chemin de la paix, 1973 (A world Restored Metternich Castlereagh and the problems of peace) dont la réflexion va bien au-delà du Congrès de Vienne.

2 Voir sur ce point, le beau texte de Thierry Baudet « Indispensables frontières » (2015)

3 Voir le livre de Raymond Aron : La République impériale, (1973)