Les mois qui se sont achevés ont vu les tensions s’accroître sans qu’on puisse faire de pronostics avérés sur le sens de l’évolution. La recomposition des relations internationales se poursuit dans le sens d’une multipolarité.
La situation en Ukraine est dans un statu quo qui n’est qu’apparent car la victoire des forces russes ne fait pas de doute et le temps de la négociation va immanquablement arriver.
L’élection de Donald Trump à la Présidence des États-Unis d’Amérique va rebattre les cartes. Le 47e Président de la première puissance mondiale avait annoncé qu’il mettrait en place une nouvelle approche dans les relations avec les autres membres de la communauté internationale, avec la volonté de mettre un terme « en un jour», a-t-il pu indiquer, au conflit en Ukraine. Même s’il s’agit d’une déclaration de campagne électorale, elle n’en demeure pas moins comme une illustration d’un souci d’en finir rapidement avec les foyers de tension. La situation au Moyen-Orient devra être examinée également à l’aune de cette nouvelle donne, même si les relations des États-Unis avec l’État hébreu ont toujours été spécifiques. Il reste que Donald Trump a indiqué qu’il entendait privilégier une action dirigée vers l’ordre interne aux fins d’apporter aux États-Unis un nouvel « âge d’or », ce qui peut impliquer certains désengagements internationaux, même s’il faut exclure tout désintérêt pour les relations internationales.
L’ambassadeur ukrainien à Londres, exfiltré car en opposition avec le Président Zelenski (qui d’ailleurs juridiquement est président de fait), a déclaré récemment que le temps était venu de faire des concessions territoriales. Le moment des négociations approche, mais à quel prix, celui des trop nombreuses victimes militaires et civiles de part et d’autre. Le caractère prévisible de « l’opération spéciale » compte tenu du non-respect des accords de Minsk et de la politique d’encerclement de la Russie (qui avait clairement prévenu qu’elle ne laisserait pas faire) laisse un goût de gâchis eu égard aux tensions, aux dégâts et aux vies brisées de part et d’autre. Outre le fait que l’est ukrainien est peuplé de populations russophones qui étaient plutôt malmenées, le mot est faible, par le pouvoir central. Telle est la réalité que d’aucuns s’ingénient à nier contre l’évidence. Mais, comme toujours, la réalité l’emporte finalement, même si cela prend du temps et, hélas, des vies. Les comparaisons sont sans doute souvent approximatives, mais cela ne peut que rappeler la crise des missiles de Cuba, lorsque les États-Unis ont réagi face à ce qu’ils concevaient comme une menace directe sur leur territoire. La raison l’a emporté, fort heureusement. Il est à espérer qu’une voie de sortie réaliste soit enfin prise.
Au Moyen-Orient, la situation est d’une tension extrême. À l’encontre des règles les plus établies du droit international, Israël pilonne le Liban, État souverain, sans parler de la destruction de Gaza, méthodique, et au prix, ici aussi de milliers de vies sacrifiées. Les résolutions de l’ONU sont bafouées, et les opinions publiques arabes sont dans une émotion constante, ferment de sentiments de revanche et de haine pour des temps longs. La paix qui est nécessairement à venir sera longue et semée d’embûches de ce fait. Les tirs de représailles israéliens sur l’Iran n’ont pas contribué pas à apaiser la tension bien qu’ils aient été plus limités que ne le faisait craindre le discours des autorités d’Israël (sur ce point voirl’éditorial de Jean-Yves de Cara : « L’attente… »). La très récente déclaration du nouveau ministre israélien des Affaires étrangères Gideon Saar, selon laquelle l’établissement d’un Etat Palestinien n’est pas « aujourd’hui » un projet « réaliste » n’ouvre pas la voie à un apaisement.
La France a pris une position courageuse par la bouche du Président Macron en indiquant qu’il convenait de plus alimenter ce conflit et qu’il fallait mettre un embargo sur les livraisons d’armes à Israël. Une position peu comprise en France par ceux qui ont une vision peu en phase avec la réalité du monde et des enjeux. Ainsi notre pays renoue avec la longue tradition qui est la sienne, celle d’une France qui se veut porter une parole singulière mais ancrée dans le réel, et conforme à ses intérêts.
C’est avec cette exacte perception du réel qu’est intervenue également la reconnaissance de la marocanité du Sahara par le Président Macron à l’occasion de la Fête du Trône, en juillet 2024, ce qui a fermé une parenthèse qui n’avait que trop duré et revivifié les liens séculaires (jamais brisés néanmoins) entre les deux pays, source de bénéfices mutuels et porteurs de potentialités dans tous les domaines. La visite d’État du Président de la République au Maroc devrait marquer symboliquement la reprise des relations d’amitié ancienne, même si les usages protocolaires n’ont pas été parfaitement observés par la France dont la délégation a pu paraître incongrue à certains égards auprès d’un monarque d’une dynastie fort ancienne, Commandeur des croyants.
Dans une situation internationale si tendue, la France par ses partenariats et ses relations privilégiées avec l’ensemble des acteurs sera possiblement en capacité de jouer un rôle de médiateur et de faiseur de paix. Encore faudra-t-il que les responsables de la diplomatie fassent preuve d’expérience et de tact.
L’art est difficile et les obstacles, les résistances sont grandes dans un schéma global de modification notable des relations internationales, avec le renforcement des BRICS, et la poursuite du rapprochement entre les mondes sunnites et chiites. Sous l’égide de la Chine, dont on ne peut que constater l’intense activité diplomatique, l’Arabie saoudite et l’Iran ont repris leurs relations diplomatiques. Très récemment, l’annonce de manœuvres navales communes qui seront organisées entre les deux pays atteste d’une poursuite dudit rapprochement, ce qui était peu envisageable il y a seulement quelques mois.
Les puissances du sud renforcent leur poids et leur diplomatie, fortes de leurs économies en croissance et de leur démographie, ce qui opère un basculement des équilibres qui n’est guère en faveur d’un « Occident » qui se pensait le maître du jeu. La lente désindustrialisation de nombre de pays d’Europe notamment n’a pu que renforcer leur marginalisation, car on ne peut fonder une puissance sur une seule « industrie » de services.
Les tensions sont aussi présentes en Asie, entre la Chine et Taïwan. L’empire chinois n’entend pas se laisser dominer et manifeste sa volonté de maîtrise et contrôle de son espace proche, notamment par des exercices militaires au voisinage de l’Île. Les États-Unis veillent à la défense de leur protégé, ce qui est un facteur de déclenchement de crise. Les équilibres sont précaires en cette partie du monde aussi. Et l’on a pu entendre des déclarations auxquelles on n’était pas accoutumé de la part du Président chinois consistant à indiquer que le pays devait se mettre en posture de guerre. La Corée du Nord vient par ailleurs de rendre inutilisables ses voies de communication avec son voisin du sud, ce qui n’augure rien de bon.
La menace d’un conflit pèse également entre l’Éthiopie et son allié le Somaliland d’une part, et l’Égypte, la Somalie et l’Érythrée, d’autre part.
On le voit, les mois qui viennent seront marqués par des évolutions à observer attentivement, avec des foyers de crise et de crises potentielles présents partout dans le monde, ce qui imposera que la voie de la diplomatie soit partout privilégiée, une diplomatie en phase, comme c’est de règle, avec la réalité du monde, et non fondée sur des incantations et le rappel des « valeurs » comme le spectacle désolant nous en est donné par trop sur certains plateaux télévisés.
Jean-François Poli