Le 25 mars 2024, le Vatican, plus précisément le Dicastère pour la doctrine de la Foi a publié un texte important sur la dignité humaine intitulé Dignitas Infinita, faisant suite à la décision prise en 2019 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de commencer « la rédaction d’un texte soulignant le caractère incontournable du concept de dignité de la personne humaine au sein de l’anthropologie chrétienne » selon ce qu’indique le Cardinal Víctor Manuel Fernández Préfet du Dicastère.
Si l’Église s’insère toujours dans le temps long, ce texte arrive fort à propos, et enfin, pourrait-on même souligner, tant il y a urgence à affirmer le primat de l’homme et de sa dignité dans un monde où tout est fait pour assurer toujours plus de marchandisation des âmes et des corps et mépriser la vie. C’est ainsi que le message délivré par l’Église vient au juste moment pour nous remettre les idées en ordre.
Ce n’est pas pour autant un texte de circonstance mais le fruit d’une réflexion approfondie, comme le souligne, dans sa présentation le Cardinal Víctor Manuel Fernández :
« L’élaboration du texte, qui a duré cinq ans, nous permet de comprendre qu’il s’agit d’un document qui, en raison du sérieux et de la centralité de la question de la dignité dans la pensée chrétienne, a requis un long processus de maturation pour parvenir à la version finale que nous publions aujourd’hui. ».
Par ce texte, l’Église affirme la primauté de la personne « humaine » sur toutes autres, refusant le relativisme et le spécisme qui par trop étreignent notre époque (même si cela ne date pas, hélas, des périodes les plus contemporaines).
L’Église rappelle ainsi que « la dignité de l’être humain provient de l’amour de son Créateur, qui a imprimé en lui les traits indélébiles de son image » et que « dans cette vision, la dignité ne se réfère pas seulement à l’âme, mais à la personne en tant qu’unité indivisible ». L’Homme forme un tout, on ne peut ainsi prétexter de sa diminution physique, par exemple, ou de sa différence pour nier son unité dans sa singularité.
En reprenant les mots de Saint Jean Paul II, le Cardinal Víctor Manuel Card. Fernández souligne que « cette dignité de tous les êtres humains peut être comprise comme « infinie » (dignitas infinita) » 1 et qu’elle existe en « toutes circonstances » comme l’a souligné le Pape François dans l’encyclique Fratelli tutti2.
C’est le Christ qui a élevé la dignité de l’homme, « « Par le mystère de l’Incarnation, le Fils de Dieu a confirmé la dignité du corps et de l’âme, constitutifs de l’être humain »3 et « en s’unissant en quelque sorte à tout être humain par son incarnation, Jésus-Christ a confirmé que tout être humain possède une dignité inestimable, par le simple fait d’appartenir à la même communauté humaine, et que cette dignité ne peut jamais être perdue »4.
Il est ainsi constaté de nombreuses atteintes à la dignité, parmi elles, la guerre et la pauvreté, mais également la gestation pour autrui, « par laquelle l’enfant, immensément digne, devient un simple objet » alors qu’il a « le droit, en vertu de sa dignité inaliénable, d’avoir une origine pleinement humaine et non artificielle, et de recevoir le don d’une vie qui manifeste en même temps la dignité de celui qui la donne et de celui qui la reçoit ». C’est un cri contre cettemarchandisation des corps qui transforme les femmes en simples usines de reproduction, niant tout ce qui fait l’irréductible singularité de la relation entre une mère et son enfant .
Sur ce point la Déclaration cite le Pape François, dans son discours aux membre du corps diplomatique du 8 janvier 2024, en ce qu’il indique « la voie de la paix exige le respect de la vie, de toute vie humaine, à partir de celle de l’enfant à naître dans le sein de la mère, qui ne peut être supprimée, ni devenir objet de marchandage. À cet égard, je trouve regrettable la pratique de la dite mère porteuse, qui lèse gravement la dignité de la femme et de l’enfant. Elle est fondée sur l’exploitation d’une situation de nécessité matérielle de la mère. Un enfant est toujours un cadeau et jamais l’objet d’un contrat. Je souhaite donc un engagement de la Communauté internationale pour interdire cette pratique au niveau universel »5
Il est également souligné dans ce texte que « La pratique de la maternité de substitution porte atteinte, en même temps, à la propre dignité de la femme qui y est contrainte ou qui décide librement de s’y soumettre. Avec une telle pratique, la femme se détache de l’enfant qui grandit en elle et devient un simple moyen asservi au profit ou au désir arbitraire d’autrui. Ceci est en contradiction totale avec la dignité fondamentale de tout être humain et avec son droit à être toujours reconnu pour lui-même et jamais comme l’instrument de quoi que ce soit d’autre ».
Des développements conséquents sont également apportés à l’encontre de la théorie du genre, appelant au changement de sexe.
Pour l’Église, « la vie humaine, dans toutes ses composantes, physiques et spirituelles, est un don de Dieu, qui doit être accueilli avec gratitude et mis au service du bien. Vouloir disposer de soi, comme le prescrit la théorie du genre, sans tenir compte de cette vérité fondamentale de la vie humaine comme don, ne signifie rien d’autre que céder à la tentation séculaire de l’être humain se faisant Dieu et entrant en rivalité avec le vrai Dieu d’amour que nous révèle l’Évangile. » Est souligné également le fait que cette théorie « cherche à nier la plus grande différence possible entre les êtres vivants : la différence sexuelle. » Alors même que, indique le texte du Vatican, « cette différence fondatrice est non seulement la plus grande que l’on puisse imaginer, mais aussi la plus belle et la plus puissante : elle réalise, dans le couple homme-femme, la plus admirable réciprocité et est donc à l’origine de ce miracle qui ne cesse de nous étonner, à savoir l’arrivée de nouveaux êtres humains dans le monde ».
Pour le Pape François, « la création nous précède et doit être reçue comme un don. En même temps, nous sommes appelés à sauvegarder notre humanité, et cela signifie avant tout l’accepter et la respecter comme elle a été créée »6.
Ce qui n’exclut pas que l’on remédie dans certaines situations particulières à des anomalies physiques : « Il s’ensuit que toute intervention de changement de sexe risque, en règle générale, de menacer la dignité unique qu’une personne a reçue dès le moment de la conception. Cela n’exclut pas la possibilité qu’une personne présentant des anomalies génitales qui sont déjà évidentes à la naissance ou qui se développent plus tard, choisisse de recevoir une assistance médicale afin de résoudre ces anomalies. Dans ce cas, l’opération ne constituerait pas un changement de sexe au sens où on l’entend ici ».
Le souci des plus faibles, dont l’Église s’est toujours préoccupée, trouve son expression également, étant placé au centre de la réflexion entreprise : « L’un des critères permettant de vérifier l’attention réelle portée à la dignité de chaque individu est, bien entendu, l’attention portée aux plus défavorisés. » L’Église fustige la « culture du déchet qui est en train de s’imposer », traduisant par là une vision utilitariste qui prévaut partout et nécessairement pour ce qui concerne l’homme et sa nécessaire unité. Dès lors, les hommes diminués physiquement ou mentalement deviennent des sous-hommes. Alors que, dans une société de culture « en réalité, tout être humain, quelle que soit sa condition de vulnérabilité, reçoit sa dignité du fait même qu’il est voulu et aimé par Dieu ».
Ainsi « dans une perspective plus large, il convient de rappeler que la « charité, cœur de l’esprit de la politique, est toujours un amour préférentiel pour les derniers qui anime secrètement toutes les actions en leur faveur. […] “Prendre soin de la fragilité veut dire force et tendresse, lutte et fécondité, au milieu d’un modèle fonctionnaliste et privatisé qui conduit inexorablement à la ‘culture du déchet’. [… Cela] signifie prendre en charge la personne présente dans sa situation la plus marginale et angoissante et être capable de l’oindre de dignité” On crée ainsi, bien entendu, une activité intense, car “tout doit être fait pour sauvegarder le statut et la dignité de la personne humaine”. » 7
Des paroles fortes et essentielles sont également portées à l’encontre de l’approche que d’aucuns veulent faire prévaloir sur la question dite de la « fin de vie ». Elles le sont contre ceux qui toujours plus agissent avec la volonté de nier le réel pour nous faire vivre en permanence dans le « metaverse » le plus odieux et déshumanisé afin de nous asservir. On se trouve ici, comme le souligne à juste titre l’Église, face à « un cas particulier d’atteinte à la dignité humaine, plus silencieux mais qui gagne beaucoup de terrain ». « Il a la particularité d’utiliser une conception erronée de la dignité humaine pour la retourner contre la vie elle-même ». Sont ainsi visés l’euthanasie et le suicide assisté.
Face à ce qu’il faut bien considérer comme une grave marque de déliquescence d’une société, l’Église nous dit qu’« il faut réaffirmer avec force que la souffrance ne fait pas perdre à la personne malade la dignité qui lui est propre de manière intrinsèque et inaliénable, mais qu’elle peut devenir une occasion de renforcer les liens d’appartenance mutuelle et de prendre conscience de la valeur de chaque personne pour l’ensemble de l’humanité ». « La vie humaine, même dans sa condition douloureuse, est porteuse d’une dignité qui doit toujours être respectée, qui ne peut être perdue et dont le respect reste inconditionnel. En effet, il n’y a pas de conditions sans lesquelles la vie humaine cesse d’être digne et peut donc être supprimée. »
À l’heure des débats sur cette question qui veulent nous faire accroire qu’il s’agit d’agir pour notre bien (comme d’habitude), en nous tuant quand on estime (mais qui est en droit de le faire ?) que c’est le moment, ce corpus de réflexions et d’analyses proposé par l’Église est salutaire pour susciter un sursaut des consciences et refuser que l’humanité soit transformée en un vaste abattoir à ciel ouvert et en un champ d’expérimentations pour permettre de satisfaire aux visées eugénistes de quelques-uns.
Plus largement, et face aux dérives consuméristes qui ont fini, comme cela était prévisible, de polluer l’ensemble de la vie sociale, ces affirmations fortes du primat de l’homme, de la nécessité de protéger les plus faibles, de la défense de la vie, de toutes les vies, doivent nous permettre de surmonter la noirceur d’une époque pour aller vers le renouveau dans l’Espérance.
Jean-François Poli
Doyen honoraire de la Faculté de droit de Corse
Avocat à la Cour de Bastia
1– Saint Jean-Paul II, Angélus avec les personnes handicapées à l’Église cathédrale d’Osnabrück (16 novembre 1980) : Insegnamenti III/2 (1980), 1232.
2 – Lettre encyclique Fratelli tutti du Saint-Père François sur la fraternité et l’amitié sociale, 3 octobre 2020
3– Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Dignitas Personae (8 septembre 2008), n. 7 : AAS 100 (2008), 863. Cf. aussi saint Irénée de Lyon, Adv. Haer. V, 16, 2 : PG 7, 1167-1168.
4– Puisque « par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui- même à tout homme » (Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes (7 décembre 1965), n. 22 : AAS 58 (1966), 1042), la dignité de tout être humain nous est révélée par le Christ dans sa plénitude.
5 – François, Discours aux Membres du Corps Diplomatique accrédité près le Saint-Siège pour la présentation des vœux pour la nouvelle année (8 janvier 2024) : L’Osservatore Romano (8 gennaio 2024), 3.
6.François, Exhort. ap. Amoris laetitia (19 mars 2016), n. 56 : AAS 108 (2016), 344.
7 François, Lett. enc. Fratelli tutti (3 octobre 2020), nn. 187-188 : AAS 112 (2020), 1035-1036, citant Id., Discours au Parlement européen, (25 novembre 2014) : AAS 106 (2014), 999, et Id., Discours à la classe dirigeante et au Corps diplomatique, Bangui – République Centrafricaine (29 novembre 2015) : AAS 107 (2015) 1320.