La bande de Gaza est l’un des territoires dont la densité de population est une des plus élevée au monde (5935 hab./km). Plus de deux millions de Palestiniens, dont seulement un millier de chrétiens, vivent sur cette langue de terre de 360 km2, de 40 km de long et de 12 km de large au maximum. Depuis 2007 et la prise de contrôle du pouvoir par le Hamas, le territoire est soumis à un blocus d’Israël et à un embargo partiel de l’Égypte. Avec la campagne de Tsahal contre le territoire, le sort des Chrétiens, comme celui des habitants de Gaza, s’est détérioré et il ne leur reste plus que l’espoir d’échapper à l’enfer des bombardements.
Sur ce territoire, deux habitants sur trois sont chrétiens y compris les descendants de Palestiniens chassés de leurs terres lors de la création d’Israël en 1948. Or cette communauté chrétienne, oubliée du monde, qui constituait 12 à 15% de la population arabe, se réduit chaque année. Il y a quinze ans, environ 3500 Chrétiens vivaient à Gaza mais 70% se sont exilés de sorte que les chrétiens étaient un peu plus de 1000 au début de la guerre d’octobre 2023, environ 900 personnes y subsistent depuis les événements du 7 octobre. Orthodoxes ou catholiques avec quelques protestants, ils bénéficiaient traditionnellement de permis délivrés avec parcimonie par les autorités d’Israël, pour fêter Noël à Bethléem et Pâques à Jérusalem. Ce privilège constituait une brèche toujours plus étroite pour s’enfuir, ces Chrétiens tentant de déjouer les restrictions de circulation et cherchant à quitter l’enclave pour des pays lointains ou pour regagner l’Europe par la Turquie puis par la mer, malgré les risques du voyage.
La bande de Gaza, située au carrefour de routes commerciales entre la Syrie, la Mésopotamie et l’Égypte, a constitué aussi un foyer religieux actif. Le plus illustre des Chrétiens, l’Enfant Jésus y serait passé avec ses parents lors de la fuite en Égypte. Les premiers vestiges chrétiens identifiés, situés à Tell Umm el-Amr, non loin de la côte dans le village de Nuseirat, se composent du monastère éponyme établi par Saint Hilarion (né en 291), fondateur du monachisme chrétien palestinien en Terre Sainte, en cours d’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. Fondé en 329, il a été actif pendant la période romaine et byzantine jusqu’au VIIe siècle.
La campagne de l’armée israélienne sur la bande de Gaza depuis octobre 2023 englobe dans un même objectif les chrétiens et les musulmans du territoire. Dès le 17 octobre, une explosion a frappé l’hôpital arabe Al-Ahli, seul établissement chrétien, dirigé par des anglicans depuis 1882. L’origine de l’explosion imputée à Tsahal a été contestée et attribuée à un tir de roquette manqué du Jihad islamique, groupe associé au Hamas ; mais d’une part la directrice de l’hôpital, chrétienne arabe venue de Caroline du sud, a fait part des dommages subis et des troubles divers dont souffrait l’établissement depuis des semaines, d’autre part les patriarches et les chefs des Églises de Jérusalem « ont dénoncé avec véhémence et condamné ce crime ». L’archevêque de Canterbury, Justin Welby, a qualifié l’explosion de « violation du caractère sacré et de la dignité de la vie humaine et du droit humanitaire » demandant « qu’il soit fait preuve de retenue dans l’attribution des responsabilités avant que tous les faits ne soient clarifiés ». L’incident a provoqué des protestations dans les pays arabes et la Jordanie a annulé, en conséquence, un sommet prévu avec le Président américain. Après l’explosion, Israël a autorisé l’entrée de la première aide humanitaire en provenance d’Égypte depuis dix jours.
D’autres incidents ont marqué la communauté chrétienne. Dans la vieille ville, l’église de Saint Porphyre, bâtie au Ve siècle, reconstruite par les croisés au XIIe siècle, est le plus ancien édifice chrétien en activité, à proximité de plusieurs mosquées ; cœur de la communauté de rite grec-orthodoxe qui y célébrait la messe plusieurs fois par semaine, elle a été endommagée par une frappe aérienne le 19 octobre 2023, attribuée à l’aviation israélienne qui visait un poste de commandement du Hamas à proximité. Dix-huit chrétiens ont été les victimes collatérales de ce raid. Pour sa part, depuis le début de l’offensive israélienne, la petite communauté catholique de 135 personnes a trouvé refuge dans l’église de la Sainte Famille au cœur de la ville de Gaza. Coupée du monde, elle y vit et y dort, elle y prie et assiste aux messes ; elle tente de survivre malgré le manque d’eau, de nourriture et l’absence de médicaments. Privée de son curé, bloqué à Jérusalem, elle s’est confiée à un prêtre d’origine égyptienne, le père Youssef, et reste en contact quotidien par téléphone avec le Vatican. Certains orthodoxes, blessés, ont rejoint le groupe puis environ 500 autres chrétiens ont rejoint la paroisse latine où des sœurs de la Charité de mère Teresa veillent sur les blessés et les handicapés. Sous l’angle diplomatique, le Saint Siège et le cardinal Pizzaballa, patriarche de Jérusalem, ont obtenu des garanties de la part d’Israël mais la communauté demeure piégée, cernée par les ruines et les explosions.
Néanmoins, ces deux églises orthodoxe et latine qui sont situées dans la partie nord de l’enclave de Gaza ont reçu l’ultimatum de se replier sur la partie sud mais les chrétiens ont choisi de rester…
De façon plus générale, les autorités israéliennes dans les territoires occupés appliquent des restrictions sévères et distinguent les Palestiniens de Gaza et ceux de Cisjordanie. Les chrétiens connaissent le même sort et sont renvoyés à Gaza lorsqu’ils s’en échappent et les membres de famille gazaouies « installés illégalement » en Cisjordanie ne reçoivent pas de permis. A Jérusalem, leur situation n’est pas meilleure. Ils connaissent harcèlement et vandalisme qui visent particulièrement les ecclésiastiques, les tombes chrétiennes, les centres communautaires. Selon The Times of Israël, au cours du défilé traditionnel des enfants catholiques sur la Via Dolorosa, ces derniers portaient, pendant le Carême 2023, un foulard arborant l’image d’une statue du Christ brisée par un touriste juif américain dans l’église de la Flagellation. Ils étaient accompagnés par le patriarche de Jérusalem et le custode de Terre Sainte horrifiés qui entendaient protester contre la violence et la haine contre la communauté catholique en Israël. En octobre, dans le contexte de multiples incidents contre les prêtres et les pèlerins, des Juifs ultraorthodoxes soupçonnés d’avoir craché sur des chrétiens dans la vielle ville ont été arrêtés. De tels faits se sont répétés visant notamment l’archevêque de l’Église arménienne et des pèlerins pendant une procession. Ces incidents ont été envenimés par les propos du ministre de la sécurité nationale qui a considéré que « cracher sur des chrétiens n’est pas un acte criminel et ne justifie pas une arrestation ». La justification des crachats sur chaque chrétien ou sur la croix a été avancée par certaines autorités comme une tradition juive et un impératif religieux issu de la Torah. Les actes de vandalisme, des slogans hostiles, des invectives et même des attaques sont devenus presque quotidiens, selon l’Église grecque orthodoxe, soulevant une certaine inquiétude de part et d’autre. Cela s’inscrit dans un climat international d’hostilité aux Chrétiens au Proche Orient, en Afrique, mais aussi d’élimination des chrétiens de Palestine par Israël avec l’assentiment des Etats-Unis. En Terre Sainte, les Chrétiens représentent moins de 2% de la population, ils ont en charge près de la moitié des écoles, des hôpitaux, des centres d’assistance. Leur présence peut être un facteur d’apaisement sinon de réconciliation entre ceux qui prient le Dieu Tout Puissant (Omnipotens Deus), qui proclament Allah Akbar, ou invoquent Élohim…
Jean-Yves de Cara